Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/396

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dressèrent un trophée, et rendirent par accord les morts qu’ils avaient retirés sous leurs murs ; ce qui ranima les alliés de Lacédémone. Dans ces entrefaites, arriva de Sicile un renfort de plus de vingt trirémes, qui portaient des Celtes, des Espagnols, avec environ cinquante cavaliers.

Le lendemain, les Thébains et leurs alliés se rangèrent en bataille, remplirent la plaine jusqu’à la mer et aux tertres voisins de la ville, et ravagérent tout ce qui pouvait être utile à l’ennemi. La cavalerie d’Athènes et celle de Corinthe n’approchaient pas, à la vue d’une armée forte et nombreuse ; mais bientôt les cinquante cavaliers de Denys, se répandant çà et là dans la plaine, coururent à toute bride et firent leur décharge ; si l’on fondait sur eux, ils lâchaient pied, puis se retournaient en faisant une décharge nouvelle. Dans ces courses, ils descendaient de cheval et se reposaient. Venait-on les attaquer, ils remontaient avec agilité, et s’éloignaient ; quelques imprudens les poursuivaient-ils trop loin de l’armée, ils les pressaient vivement dans la retraite, ils les accablaient de javelots, ils les couvraient de blessures ; ils contraignaient toutes les troupes tantôt d’avancer, tantôt de reculer.

Peu de jours après, les Thébains et autres s’en retournèrent chacun dans leurs foyers. Les cavaliers de Denys se jetèrent dans la Sicyonie, vainquirent les Sicyoniens en pleine campagne, et leur tuérent environ soixante-dix hommes ; ils prirent aussi Dères de vive force. Après ces divers exploits, ce renfort, le premier qu’en voyait Denys, fit voile vers Syracuse.

Les Thébains vivaient en bonne intelligence avec les peuples qui avaient abandonné Lacédémone ; ils jouissaient du commandement qu’on leur avait déféré, lorsque parut sur la scène le Mantinéen Lycomède. Ce personnage d’une haute extraction, riche et d’ailleurs ambitieux, voulut inspirer de la fierté aux Arcadiens ; il leur représenta qu’ils étaient, dans le Péloponnése leur patrie, seuls autochtones ; que leur nation, la plus nombreuse de toute la Grèce, possédait les hommes les plus robustes ; et pour prouver qu’ils étaient aussi les plus vaillans, il leur rappelait que lorsque les Grecs avaient besoin de troupes auxiliaires, ils ne voulaient en prendre que chez les Arcadiens ; que sans eux, les Lacédémoniens n’eussent jamais osé fondre sur Athènes, ni les Thébains pénétrer dans la Laconie.

« Si donc vous êtes sages, leur dit-il, vous vous épargnerez l’humiliation de marcher sous des chefs étrangers. En suivant les Lacédémoniens, vous avez augmenté la puissance de cette orgueilleuse cité ; si aujourd’hui vous suivez trop facilement les Thébains sans exiger qu’ils partagent avec vous le commandement, vous ne tarderez peut-être pas à trouver en eux une autre Lacédémone. »

Ce discours avait exalté l’orgueil des Arcadiens. Lycomède, devenu dés lors leur idole, n’avait plus son égal dans la république. Ils acceptèrent tous les chefs qu’il leur donna. Les événemens favorisèrent encore leur fierté. En effet, ceux d’Argos étant entrés dans la contrée d’Épidaure, s’y étaient trouvés enfermés par les Athéniens, les Corinthiens et les troupes soldées de Chabrias. Les Arcadiens avaient secouru et délivré ces Argiens assiégés, quoiqu’ils eussent pour ennemis et les lieux et les hommes. Une autre fois ils attaquèrent Asine en Laconie, défirent la garnison lacédémonienne, tuèrent Géranor, récemment nommé polémarque, et ravagèrent les faubourgs d’Asine ; quelque part qu’ils voulussent conduire leurs troupes, rien ne les arrêtait, ni la nuit ni le mauvais temps, ni la longueur des chemins, ni les obstacles des monts escarpés ; ce qui leur donnait une haute idée d’eux-mêmes, et excitait l’envie des alliés, qui ne les affectionnaient plus. D’autre côté, les Éléens demandaient la restitution des villes que Lacédémone leur avait prises ; mais loin de tenir compte de leurs allégations, les Arcadiens soutenaient les Triphyliens, parce que ceux-ci se disaient d’Arcadie. Les Éléens en voulaient donc aussi aux Arcadiens.

Tandis que les alliés annonçaient de grandes prétentions chacun de leur côté, survient l’Abydénien Philiscus, envoyé avec quantité d’argent par Ariobarzane ; il les convoque d’abord à Delphes avec les Lacédémoniens. Dès qu’ils y furent rassemblés, sans consulter le dieu sur les conditions de paix, ils délibérèrent entre eux. Comme les Thébains ne voulaient pas laisser Messène sous la domination lacédémonienne, Philiscus fit une forte levée pour secourir les Lacédémoniens.