Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/63

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battre dès qu’ils nous y verront porter le ravage et détruire leurs propriétés ; car tous les hommes s’irritent quand, sous leurs yeux et à l’instant même, ils voient des désastres qu’ils n’ont pas l’habitude de souffrir : moins ils raisonnent, plus ils agissent avec violence. C’est ce que doivent plus que personne éprouver les Athéniens ; eux fiers de commander aux autres ; eux plus accoutumés à porter le ravage chez leurs voisins qu’à le voir porter chez eux. Prêts à combattre une telle république et à couvrir de gloire et vous et vos aïeux, suivez vos généraux dans les événemens contraires ou propices, et marchez où vous serez conduits, persuadés qu’il n’est rien de plus important que de se tenir sur ses gardes et en bon ordre, et d’exécuter les commandemens avec célérité. Le plus beau spectacle qu’offre la guerre, et ce qui promet le plus de sûreté dans les combats, c’est une foule d’hommes n’ayant tous ensemble qu’un seul mouvement. »

XII. Après ce discours, Archidamus congédia l’assemblée, et fit partir pour Athènes un Spartiate, Mélésippe, fils de Diacrite : il voulait essayer si les Athéniens ne seraient pas moins fiers, en voyant déjà les ennemis en marche ; mais ce député ne put être admis dans l’assemblée, ni même dans la ville. On avait résolu de s’en tenir à l’avis de Périclès, et de ne plus recevoir de hérauts ni de députés, dès que les Lacédémoniens se seraient mis en campagne. Ils le renvoyèrent sans l’entendre, et lui prescrivirent d’être hors des frontières le même jour, ajoutant que ceux qui l’avaient expédié n’avaient qu’à retourner chez eux, et qu’alors ils seraient maîtres d’envoyer des députations à Athènes. On fit accompagner Mélésippe, pour qu’il n’eût de communication avec personne. Arrivé sur la frontière et prêt à se séparer de ses conducteurs, il dit en partant ce peu de paroles : que ce jour serait pour les Grecs le commencement de grands malheurs.

Au retour de ce député, Archidamus, convaincu que les Athéniens étaient déterminés à ne rien céder, partit et fit avancer ses troupes vers l’Attique. Les Bœotiens avaient donné aux Péloponnésiens une partie de leurs gens de pied et toute leur cavalerie : avec ce qui leur restait, ils entrèrent sur le territoire de Platée et le ravagèrent.

XIII. Les Péloponnésiens étaient encore rassemblés sur l’isthme ; ils étaient en marche et n’avaient pas encore pénétré dans l’Attique, quand Périclès, fils de Xantippe, le premier des dix généraux qu’Athènes avait choisis, sachant qu’il allait se faire une invasion, pensa qu’Archidamus, qui lui était uni par les liens de l’hospitalité, pourrait bien de lui-même, et pour lui faire plaisir, épargner les terres qui lui appartenaient, et les préserver du ravage : il soupçonnait aussi que ce prince pourrait recevoir des Lacédémoniens l’ordre de le ménager pour le rendre suspect à ses concitoyens, comme ils avaient demandé aux Athéniens l’expiation du sacrilège pour le rendre odieux. Il prit le parti d’annoncer à l’assemblée qu’il avait pour hôte Archidamus, et qu’il ne devait résulter de cette liaison aucun inconvénient pour l’état ; que si les ennemis ne ravageaient pas ses terres et ses maisons de campagne comme celles des autres, il les abandonnait au public, et que ces ménagemens ne pourraient le rendre suspect. D’ailleurs, il renouvela, dans la conjoncture, les conseils qu’il avait déjà donnés de se bien tenir prêts à la guerre, de retirer tout ce qu’on avait à la campagne, d’entrer dans la ville pour la garder, au lieu d’en sortir pour combattre, de mettre en bon état la flotte qui faisait la force de l’état, et de tenir en respect les alliés : il représenta que c’était d’eux qu’Athènes tirait les richesses et les revenus d’où résultait sa puissance, et qu’en général, on ne se donnait à la guerre la supériorité que par la sagesse des résolutions et l’abondance des richesses. Il engagea les citoyens à prendre courage, en leur faisant le détail de leurs ressources : ils recevaient à peu près six cents talens[1] par an du tribut de leurs alliés, sans compter les autres revenus, et ils avaient encore dans la citadelle six mille talens d’argent monnayé[2]. Il y en avait eu neuf mille sept cents ; mais le reste avait été dépensé pour les propylées de la citadelle[3], et pour le siège de Potidée : il ne comptait pas l’or et l’argent non monnayé porté en offrande par les particuliers

  1. Trois millions deux cent quarante mille livres.
  2. Trente-deux millions quatre cent mille livres.
  3. Harpocration rapporte, d’après Héliodore, que les Propylées avaient coûté deux mille douze talens, ou dix millions soixante et quatre mille huit cents livres.