Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/95

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pour qu’il en soit de même de toutes. Car le cours du fleuve est abondant ei rapide, et entraine avec lui beaucoup de limon ; les îles, serrées les unes contre les autres, forment entre elles une chaîne qui s’oppose à l’écoulement des sables ; comme elles se croisent, et ne sont pas disposées régulièrement, elles ne permettent point aux eaux de s’écouler directement à la mer. D’ailleurs elles sont désertes et ont peu d’étendue. On dit qu’Apollon, par un oracle, les marqua pour retraite à Alcméon, fils d’Amphiaraüs, lorsque ce prince menait une vie errante, après le meurtre de sa mère. Le dieu lui annonça qu’il ne serait délivré de ses terreurs qu’après avoir trouvé pour habitation un lieu qui n’eût pas encore aperçu le soleil, et qui ne fût pas encore terre quand il avait donné la mort à sa mère, parce que toute la terre avait été souillée de son crime. Alcméon ne pouvait pénétrer le sens de cet oracle ; il comprit enfin qu’il s’agissait de cet atterrissement causé par l’Achéloüs. Comme il y avait long-temps qu’il errait depuis le meurtre de sa mère, il crut qu’il pouvait ne s’être formé que depuis son malheur, et il lui parut suffisant pour sa retraite. Il s’établit dans le pays qui entoure les Œniades, il y régna, et laissa le nom d’Acarnan, son fils, à cette contrée. Telle est la tradition que nous avons reçue au sujet d’Alcméon.

CIII. Les Athéniens et Phormion, partis de l’Acarnanie, retournèrent à Athènes au commencement du printemps. Ils amenèrent les hommes de condition libre qu’ils avaient fait prisonniers dans les batailles navales, et qui furent échangés homme pour homme. Ils amenèrent aussi les vaisseaux dont ils s’étaient rendus maîtres. Cet hiver finit, et en même temps se termina la troisième année de la guerre que Thucydide a écrite.


LIVRE TROISIÈME.
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I. L’été suivant[1], dès que le blé fut en maturité, les Péloponnésiens et les alliés firent une invasion dans l’Attique : Archidamus fils de Zeuxidamus, roi de Lacédémone, les commandait. Ils prirent des campemens, et ravagèrent le pays. La cavalerie athénienne, suivant sa coutume, saisissait toutes les occasions d’attaquer ; elle tenait en respect les troupes légères, les empêchant de courir en avant de l’armée, et de faire le dégât autour de la ville. Les ennemis restèrent tant qu’ils eurent des vivres ; ils se retirèrent ensuite, et chacun regagna son pays.

II. Bientôt après cette invasion[2], l’île de Lesbos se détacha des Athéniens : Méthymne seule leur resta fidèle. C’était un projet que les Lesbiens avaient conçu même avant la guerre ; mais les Lacédémoniens avaient refusé de les recevoir dans leur alliance. Ils furent obligés d’en venir à la défection plus tôt qu’ils ne l’avaient résolu ; car leur dessein avait été d’embarrasser l’entrée de leurs ports, de mettre leurs murailles en état de défense, de compléter leur flotte, et de recevoir tout ce qui devait leur arriver du Pont-Euxin, des archers, des vivres, tout ce qu’enfin ils avaient demandé. Mais des gens de Ténédos, qui étaient leurs ennemis, ceux de Méthymne, et même quelques particuliers de Mitylène, qui, par esprit de faction, avaient contracté des liaisons d’hospitalité à Athènes, y firent savoir qu’on forçait les Lesbiens à se renfermer dans Mitylène, et que, d’intelligence avec Lacédémone et avec les Bœotiens, qui avaient la même origine que les habitans de Lesbos, on pressait tous les apprêts de la défection ; qu’en un mot, si l’on ne prévenait ce dessein, les Athéniens perdaient cette île.

III. Ceux-ci étaient alors travaillés à la fois par

  1. Quatrième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-huitième olympiade, quatre cent vingt-huit ans avant l’ère vulgaire. Après le 28 juillet.
  2. Après le 2 et avant le 16 juillet.