Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/99

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grandes ressources. Les revenus d’Athènes viennent de ses alliés ; ils seront plus grands encore si elle parvient à nous soumettre. Dès lors plus d’alliés qui osent se détacher d’elle : notre fortune sera jointe à la sienne, et nous aurons plus à souffrir que ceux qu’elle a les premiers asservis. Mais si vous nous secourez avec zèle, vous unirez à vos intérêts une république qui possède une marine, et c’est ce dont vous avez le plus grand besoin ; et vous détruirez plus aisément la puissance d’Athènes en lui enlevant ses alliés, car tous alors se jetteront plus hardiment dans vos bras. Vous éviterez en même temps le reproche qu’on a coutume de vous faire de ne pas secourir ceux qui vous implorent. Montrez-vous leurs libérateurs, et vous aurez à la guerre une supériorité plus assurée.

XIV. « Respectez les espérances que les Grecs mettent en vous et Jupiter Olympien, dans le temple de qui vous nous voyez supplians. Devenus alliés des Mityléniens, armez-vous pour leur défense. Ne nous abandonnez pas, nous qui courons en particulier le danger de notre vie, qui offrons à tous un avantage commun s’ils nous sauvent, et qui leur causons un dommage général si nous succombons pour n’avoir pu vous persuader. Soyez tels enfin que les Grecs vous supposent et que notre crainte désire vous trouver. »

XV. Voilà ce que dirent les Mityléniens. Les Lacédémoniens et les alliés, après les avoir entendus, goûtèrent leurs raisons, et reçurent les Lesbiens dans leur alliance. Résolus d’entrer dans l’Attique, ils engagèrent les alliés qui étaient présens à se rendre sur l’isthme le plus tôt qu’il serait possible avec les deux tiers de leurs forces. Eux-mêmes y arrivèrent les premiers : et comme ils voulaient faire à la fois leur invasion par terre et par mer, ils préparèrent des machines pour transporter de Corinthe par-dessus l’isthme leur flotte dans la mer d’Athènes. Ils firent ces dispositions avec célérité ; mais les autres alliés se rassemblèrent lentement, occupés à faire leurs moissons, et d’ailleurs fatigués de la guerre.

XVI. Les Athéniens, sachant que c’était par mépris pour leur faiblesse qu’on se préparait à les attaquer, voulurent montrer qu’on avait mal jugé de leur puissance, et que, sans toucher à leur flotte de Lesbos, ils étaient en état de se défendre aisément contre celle qui venait du Péloponnèse. Ils équipèrent cent vaisseaux qu’ils montèrent eux-mêmes, tant citoyens qu’habitans, excepté les chevaliers et ceux qui avaient cinq cents médimnes de revenu[1]. Ils côtoyèrent l’isthme, faisant montre de leurs forces, et opérant dans le Péloponnèse des descentes partout où ils voulaient. Les Lacédémoniens, à ce spectacle inattendu, crurent que les Lesbiens leur avaient fait un rapport infidèle, et se trouvèrent dans une situation d’autant plus embarrassante que leurs alliés ne paraissaient pas, et qu’ils apprenaient que les trente vaisseaux d’Athènes qui étaient autour du Péloponnèse ravageaient les champs voisins de leur ville. Ils s’en retournèrent. Ils appareillèrent ensuite une flotte pour l’envoyer à Lesbos, et ordonnèrent aux villes de contribuer pour quarante vaisseaux. Alcidas fut nommé commandant de cette flotte, et devait l’aller joindre. Les Athéniens firent leur retraite quand ils eurent vu celle des Lacédémoniens.

XVII. Dans le temps de cette expédition maritime, ils eurent à la fois un grand nombre de vaisseaux bons voiliers et d’une belle construction : mais leur marine n’avait pas été moins nombreuse, ou plutôt elle l’avait encore été davantage au commencement de la guerre. Cent vaisseaux gardaient l’Attique, l’Eubée et Salamine ; cent autres étaient autour du Péloponnèse, sans compter ceux qui étaient devant Potidée et en d’autres endroits. Aussi, dans un seul été, ils n’avaient pas eu en mer moins de deux cent cinquante bâtimens. Après les dépenses du siège de Potidée, rien ne causa tant de frais. Les hoplites en garnison devant cette place recevaient

  1. Août. Solon avait distribué le peuple d’Athènes eu quatre classes. Les citoyens qui recueillaient cinq cents mesures de blé ou d’huile formaient la première ; on les nommait pentacosiomédimnes. La seconde, celle des chevaliers, était composée de citoyens qui recueillaient trois cents mesures et qui avaient le moyen de nourrir un cheval. La troisième était celle des Zeugites, qui ne recueillaient que deux cents mesures. Enfin dans la quatrième, qui était la plus nombreuse, furent compris tous ceux qui vivaient du travail de leurs mains, les ouvriers, les mercenaires. Ils furent écartés des magistratures ; mais le législateur leur donna voix dans les assemblées et les tribunaux. Ainsi les pauvres conservaient la faculté de discuter leurs droits et leurs intérêts, et de rendre inutiles les projets que les premières classes pourraient former contre eux.