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LES CHAUSSONS BLEUS




NOUVELLE




I


— Georges !

— Marie ?

— Regarde.

Ils étaient petits, tout petits… un rien exquis de laine bleue et blanche brodé de soie et noué d’un ruban. Certes, les plus mignons des anges-bébés qui jouent autour des glorieuses Vierges, sur des nuages dans les très anciens tableaux, n’auraient pu loger leurs pieds divins, si frêles, dans ces chaussons bijoux. Et d’ailleurs, pourquoi les chérubins du ciel auraient-ils besoin de chaussons, eux qui planent dans l’azur éternellement tiède ? C’est bon pour nos chérubins à nous, pauvres exilés sans ailes, d’enfouir sous la laine tricotée par les mères leurs pieds frileux, glacés au contact de l’air terrestre. La jeune femme qui nouait les rubans en si belle rosette le savait bien dans sa tendresse prévoyante ; et le père aussi fier qu’ému, l’approuvait du regard assis près d’elle, sous les lilas mauves du jardin.