Page:Tinayre (Doré) - Les Chaussons bleus, paru dans Le Monde Illustré, 27-08-1892.djvu/5

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l’École polytechnique… Tu verras, dans vingt ans, le bicorne de Bébé…

— Il est évident que notre fils, avec ses qualités remarquables…

La jeune mère part d’un joyeux rire…

— Ah ! projets, espérances, châteaux en Espagne, comme nos rêves vont leur train… Cher petit, ministre ou général, artiste ou diplomate, polytechnicien ou non, tu n’en auras pas moins porté les petits chaussons bleus.

Le jeune homme souriait. Dans le creux de sa main ouverte la minuscule chaussure étalait la gracieuse ironie de sa petitesse. La gaité d’Avril rayonnait sur ces heureux, dans le ciel lavé de récentes pluies dans les poursuites bruissantes des oiseaux, dans les verdures si tendres, d’une fraîcheur d’enfance, à peine dépliées par le printemps. Les époux se prirent les mains ; ils avaient le front dans le soleil, l’âme dans la joie… Le chausson de laine bleue et blanche, brodé de soie et noué d’un ruban, plus étroit que la corolle ouverte d’une rose, si petit, contenait pourtant toute l’immensité de leurs espérances et tout l’infini du bonheur humain.