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avant l’amour

ridicule des imageries, la laideur des monuments modernes, la sottise de la littérature catholico-sentimentale, m’apparurent tout à coup. Le désir de vivre la vie refleurit en moi avec les premiers bourgeons de mars, avec le soleil, avec le flux des sèves.

Et de la chrysalide de l’adolescente s’évada une femme que je ne soupçonnais pas. Elle respirait, affranchie de l’hiver et de la tristesse. Elle devinait la puissance de son sexe ; elle se révélait sa propre beauté… Ce charmant printemps de 18** qui poudrait d’un vert si délicat la grisaille des hautes branches, j’en sens remonter à mon cœur la lointaine ivresse. Riche de l’inconnu et de l’espoir que contenaient les années proches, je savourais avec des gaietés d’enfant les petites vanités de la parure. Chaque ajustement imprévu m’enorgueillissait comme les galons d’un nouveau grade. Et quand je marchais avec ma marraine, sur les trottoirs lavés des tièdes pluies d’avril, je sentais errer sur moi, hardi et doux, le regard détourné des hommes.