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Hellé

femme, et ne peut quitter la chambre. J’espère que nous la reverrons bientôt.

Madame de Nébriant essayait de détourner la conversation, craignant une apologie malencontreuse. Je regardai Maurice. Ses yeux, obstinément, fuyaient mes yeux. Il se taisait.

Mais mademoiselle Frémant tétait tenace.

— Un fou, Genesvrier ?

— Et un fou dangereux ! reprit le ministre. Un de ces hommes qui se salissent eux-mêmes, avec la boue qu’ils ramassent… Oh ! Genesvrier n’est point sans talent. Il a l’instinct du style, le goût de l’épithète violente, une certaine grandiloquence qui peut faire illusion. Il compte quelques partisans parmi la jeunesse — cette étrange jeunesse d’aujourd’hui, si peu française, qui ne sait plus rire et s’abîme dans les théories absconses, enivrée de déclamations… Oui, Antoine Genesvrier a l’étoffe d’un bon pamphlétaire, bien qu’il imite un peu trop Jacques Laurent… Après tout, ses fureurs sont affaire de métier, et je ne lui reprocherais point de gagner consciencieusement l’argent que Laurent et les amis de Laurent prodiguent, si je ne suspectais sa bonne foi.

Je me sentis pâlir. Encore une fois je regardai Maurice. Il se taisait.

— Comment ! s’écria mademoiselle Frémant, ce défenseur des opprimés, cet apôtre, ne serait point un honnête homme ?

— Heu !… dit Rébussat avec un fin sourire, il n’a ni tué ni volé…

— Mais il y a des gens tarés qui n’ont pas de casier judiciaire.



MAURICE TOURNA LA TÊTE…

— C’est ce que je voulais dire.

Je murmurai malgré moi :

— Et que reproche-t-on à monsieur Genesvrier ?

Maurice tourna la tête et me regarda fixement avec des yeux qui m’imposaient le silence.

— Ce qu’on lui reproche, mademoiselle ? Oh ! mon Dieu ! pas grand’chose… Cela dépend des manières de voir… Beaucoup de gens ne feraient pas un crime à Genesvrier d’être un roublard, d’insulter ceux qui ne pensent pas comme lui ou comme son patron, d’affecter l’austérité d’un Robespierre et l’humanité d’un Saint-Just, et de préparer, par la plus patiente comédie, sa candidature aux prochaines élections.

— Mais ce n’est pas un politicien, c’est un écrivain, un philosophe…

— Dites plutôt un de ces ratés, jaloux, aigris, qui flagornent les ignorants et leur soufflent l’envie, la haine, toutes les mauvaises passions dont ils sont animés ! Genesvrier a mangé une belle fortune, très vite, et l’on ne sait trop comment. C’est un déclassé, et, j’ose le dire avec certitude, c’est un effroyable ambitieux.

Il y eut un silence. Maurice était pâle, et ses yeux, maintenant, me suppliaient. Mais l’âcreté du fiel me monta du cœur aux lèvres. Une force invincible me souleva.

— Je ne suis pas de votre avis, monsieur ! dis-je d’une voix claire, un peu tremblante et qui sonna haut dans le grand salon. Je connais monsieur Genesvrier, et je le tiens pour un très honnête homme.