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Hellé

Ce très joli garçon aux cheveux séparés par une raie sur la nuque et collés en plaques luisantes exhibait un plastron à petits plis, un gilet de coupe inédite. Tant de séductions lui conciliaient ordinairement les suffrages des femmes, qui le sentaient pareil à elles par les sentiments et les goûts. Surpris de mon indifférence, que l’amour et la modestie pouvaient expliquer, il se consacra à l’opulente comtesse de Jonchères, dont la gorge, servie comme un dessert, alléchait son regard à quelques centimètres. Délivrée de lui, je pus regarder, écouter à loisir.

M. Rébussat m’intéressait ; Antoine m’avait parlé de lui, naguère, comme d’un souple intrigant, habile à conquérir les hommes en entrant dans leurs intérêts, les femmes en flattant leur vanité de mondaines. Il refusait rarement une invitation chez madame de Nébriant et ses pareilles, spéculant sur les corvées qu’il s’imposait et se faisant une réputation d’homme aimable, délicat, disert, digne de présider une république athénienne. Ses bonnes fortunes étaient célèbres ; bien qu’il ne les avouât jamais, il ne faisait rien non plus pour les démentir. Madame de Nébriant l’adorait, et ce culte prenait les apparences d’un prosélytisme politique. Rébussat avait éprouvé la puissance des salons, ayant fait sa carrière chez les belles madames aux bas d’azur. D’ailleurs intelligent, sceptique, capable d’opérer, avec un brio de gymnaste, les lâchages et les revirements qui l’avaient rendu odieux à Genesvrier.

Si l’homme ne pouvait m’être sympathique, je reconnaissais en lui d’agréables qualités de causeur, une faconde méridionale que vingt ans de Paris avaient disciplinée. Qu’il parlât politique ou littérature, Rébussat savait être clair et amusant, et c’était un vrai plaisir de l’entendre causer avec Maurice. Extasiée, madame de Nébriant avait presque imposé silence à ses convives, auditeurs respectueux.

Quand nous fûmes rentrés au salon, la baronne vint à moi, triomphante :

— Eh bien, ma chère, qu’en dites-vous ? Le ministre est-il assez charmant ?… Et bienveillant ! Vous savez qu’il a promis à Maurice de le décorer, mais chut ! c’est encore un secret… Monsieur Rébussat est tout-puissant à la Comédie. Il fera avoir à Maurice un tour de faveur.

— À moins que d’ici là le ministère ne soit renversé.

— Oh ! ce serait épouvantable ! dit la baronne consternée. Mais monsieur Rébussat gardera son influence, quoi qu’il arrive. Si Maurice est un peu habile, il pourra s’en faire un ami.

Je jugeai inutile d’expliquer à madame de Nébriant pourquoi je ne tenais guère à l’amitié de M. Rébussat. Les femmes jasaient et médisaient entre elles. Par la porte du fumoir, des rires, des éclats de voix venaient jusqu’à nous.

Mademoiselle Frémant se rapprocha de moi. Je m’étais assise sur un petit divan de satin jaune qu’abritaient de hauts palmiers. La « vieille fille de lettres », comme l’appelait Maurice, prit place à mon côté.

— Vous êtes mélancolique, mademoiselle. Je crois que monsieur Clairmont vous délaisse un peu ce soir. Il faut l’excuser : monsieur Rébussat est pour vous un noble rival.

Je prétextai une légère migraine, sentant bien que je n’étais pas au diapason de mes voisins. Mademoiselle Frémant me conseilla l’antipyrine comme un sûr remède à mon mal, puis elle s’acharna sur Maurice, discrètement.

— Vous avez accepté une belle, mais difficile tâche, et je vous en loue, mademoiselle. Domestiquer un papillon ! Il faut avoir des doigts prudents et délicats pour accomplir ce miracle. Enfin, vous avez bien des atouts dans votre jeu : la beauté, l’esprit, la fortune. Il ne fallait rien moins que cela pour fixer ce charmant étourdi de Clairmont… Tout Paris va défiler chez vous. Il a l’invitation facile, notre poète, et l’admiration aussi. Voyez, il boit les paroles du ministre. J’aime cette candeur chez les hommes