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Hellé

dame Marboy ne ressemblaient point aux gens affairés, ambitieux et doctes qui fréquentaient chez les Gérard. C’étaient des dames mûres et paisibles, de vieux messieurs bienveillants, quelques jeunes gens titrés, élégants et graves. Bien que madame Marboy vécût simplement et n’allât jamais dans le monde, elle était apparentée à de riches familles de l’aristocratie et de la bourgeoisie de robe. Je m’expliquais par ces alliances les quelques préjugés qu’elle gardait sans jamais les ériger en lois. Elle aimait les manières exquises, les jolis compliments, les nuances infinies du sentiment qui composaient, disait-elle, l’aristocratie du cœur. Elle avait reçu l’instruction superficielle que les religieuses des Oiseaux ou du Sacré-Cœur donnaient aux jeunes filles de son temps ; elle savait un peu d’anglais et d’italien ; elle jouait du piano, chantait encore à ravir des airs de Bellini et de Donizetti, et faisait ses délices de Musset et de Lamartine. Très bonne, avec une pointe de malice, elle prenait ses émotions pour des opinions qu’elle exprimait avec grâce et qu’elle prétendait justifier par des anecdotes. Sa logique n’était pas toujours sûre, mais elle contait avec tant de charme qu’on ne s’en lassait point. Mariée très jeune à un homme qu’elle adorait, elle n’avait souffert que du regret de n’être point mère et de son veuvage prématuré. Des amitiés ferventes réchauffaient encore ses beaux soixante ans.


TOUJOURS VÊTUE DE GRIS…

Je devais être pour cette aimable femme un perpétuel sujet d’étonnement.

Un après-midi de février, comme nous étions seules, elle me raconta un épisode