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Page:Tinayre - Hellé, 1909.djvu/39

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Hellé

mon absolue inexpérience de l’homme m’empêcha de remarquer sur-le-champ.

— Vraiment, vous me conseillez de partir… même si Paris m’offrait un nouvel attrait… un attrait irrésistible ?

— Je ne sais, dis-je avec candeur, quel attrait peut vous offrir Paris ; mais, si j’étais homme, je ne balancerais pas, quand, à trois jours de voyage, je saurais trouver les Cyclades, la mer des Néréides, et peut-être la gloire de chasser le Turc de la terre des dieux.

— Allons ! fit-il en riant, je vois qu’il me faudra chasser le Turc, comme vous dites, sous peine de me déshonorer à vos yeux. Mais si loin que j’aille et si délicieuses que soient les îles, et si bleue la mer, et si tenaces les Turcs, je reviendrai, je reviendrai, mademoiselle.

— Et vous nous rapporterez un beau drame ?

— Je tâcherai… Et vous, mademoiselle, que ferez-vous, d’ici là ?

— Je travaillerai avec mon oncle ; j’irai passer les étés à la Châtaigneraie…

— Deux ans, c’est long.

— Croyez-vous ? Les années vont vite. Il me semble que je suis née d’hier, et pourtant ma vie s’est écoulée sans aventures, sans incidents, entre mon oncle et ma vieille bonne Babette.

— Vous n’aviez même pas de compagnes ?

— Et je n’en souhaitais point. Les jeunes filles ne m’aiment guère, parce que je leur ressemble peu et que nous n’avons aucun goût commun.

— Mais quand je serai de retour, peut-être des événements imprévus auront-ils bouleversé votre existence. Une Psyché inconnue s’éveille en nous, vers vingt ans… N’importe ! je vous devrai un souvenir exquis, mademoiselle, et je penserai à vous sous les myrtes et les oliviers… Et puis, après tout, vous avez raison… Deux ans passent vite.

Il répéta, après un silence :

— Je reviendrai.

Quand nous prîmes congé, vers minuit, mon oncle pria Clairmont de venir dîner un mercredi chez nous, rue Palatine. Je compris, aux paroles d’adieu de Genesvrier, qu’une invitation identique avait précédé celle-là.


IX


J’avais caché sous ma pelisse deux volumes de Maurice Clairmont, empruntés à madame Marboy, et pendant que la voiture roulait vers Saint-Sulpice, il me semblait que j’emportais l’âme même du poète, réfugiée ainsi dans l’ombre, tout près de mon cœur.

La voix de mon oncle m’arracha à ma rêverie.

— Je suis content de ma soirée, Hellé. Bien que la robe de madame Gérard fût d’un velours rouge insupportable, j’ai pris grand plaisir à la conversation. Sais-tu que j’ai engagé Genesvrier à venir nous voir ? Mon enfant, c’est un homme extraordinaire.

— Je ne suis pas bon juge, répondis-je. Monsieur Genesvrier s’est constamment tenu loin de moi. À peine lui ai-je entendu prononcer quatre paroles.

Je remarquai que mon oncle ne parlait point de Maurice Clairmont, et je fis une discrète allusion au talent probable de ce jeune homme. Mais, de même que Clairmont m’avait absorbée, de même Genesvrier avait accaparé toute la pensée de M. de Riveyrac. Il déclara que Maurice avait de l’imagination, de l’éclat, de l’élégance, une de ces figures charmantes que les artistes aiment à reproduire. Puis chacun reprit sa méditation, et nous ne parlâmes plus qu’au seuil de ma chambre, où mon oncle me souhaita le bonsoir.

Quand j’eus allumé ma petite lampe, étalé sur l’antique bergère le corsage de mousseline neigeuse et l’ample jupe de satin blanc, je revêtis un chaud peignoir noué d’une simple cordelière. Puis, sans penser à l’heure tardive, j’ouvris le premier volume des poésies de Clairmont.

C’étaient des vers de jeunesse, des odelettes amoureuses dans une jolie forme parnassienne ; un petit musée de figurines antiques ciselées et peintes avec un art séduisant, mais impersonnel. Je n’y trou-