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Hellé

M. Genesvrier me précéda.

La salle où je pénétrai à sa suite ne ressemblait pas aux salles des hôpitaux neufs. Formée par les anciennes cellules dont on avait abattu la cloison, elle présentait une sorte de couloir entre une double série de logettes opposées, peintes d’une couleur vert tendre. Chaque logette, éclairée d’une large fenêtre, contenait un lit et un berceau.

Dans chaque lit il y avait une femme ; dans chaque berceau, un nouveau-né. L’atmosphère était douce, lourde, saturée de l’odeur des antiseptiques. Parfois, parmi les chuchotements des visiteurs et les appels des infirmières, parmi les tintements clairs de la porcelaine et du cristal, un vagissement grêle montait et, tout au fond de la longue salle, répondait un vagissement pareil. Une lumière crue tombait des hautes vitres sur les figures pâles et les linges blancs.

Assises sur leur lit, quelques femmes causaient avec des visiteurs qui roulaient entre leurs mains l’humble cadeau traditionnel, les oranges enveloppées de papier de soie. C’étaient des femmes d’ouvriers ou de petits employés, de placides ménagères qui étaient venues là, en habituées, pour la cinquième ou sixième fois. Elles faisaient soupeser leur mioche, dont on ne voyait qu’un peu de chair rouge dans un lange crémeux, et les aînés, rangés derrière le père, contemplaient, stupides de surprise, les yeux agrandis et ronds.

D’autres étaient seules dans leur logette, et celles-là semblaient n’attendre personne. Il y en avait de très jeunes aux yeux naïfs de madones campagnardes, toutes hâlées encore par l’air des champs. Il y en avait de presque vieilles dont les bandeaux gris, les rides d’aïeules, le sein flétri, affligeaient mon regard. Il y en avait de farouches, allongées sur le flanc, le poing dans leur chevelure, de résignées qui fermaient les yeux comme des bêtes malades, et d’autres, dont les belles dents avaient trop aimé à rire, et d’autres dont les yeux tragiques avaient dû beaucoup pleurer. Chacune me regardait au passage, d’un air d’envie, de curiosité d’indifférence, et je songeais à la destinée qui les avait rassemblées là, lamentable troupeau maternel, épaves de la misère, épaves de l’amour, par qui se perpétuent la vie et la souffrance.

Au bout du dortoir, Genesvrier s’arrêta :

— Bonjour, Marie ! dit-il. Je vous amène une visiteuse.



JE VIS UNE JEUNE FEMME…

Une tête inclinée se leva, pâle et charmante. Je vis une jeune femme de mon âge, brune, délicate, vêtue d’une camisole de toile largement ouverte. Elle allaitait son enfant, et je compris qu’elle devait souffrir, à la contraction de sa bouche.

Elle ne dit rien, peut-être par timidité, peut-être parce qu’elle était toute à la belle tâche douloureuse, toute à l’enfant dont la bouche vorace suçait son sein en le blessant.

— Vous souffrez toujours, Marie ?