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Hellé

pour que rien ni personne ne prit un peu de mon attention, un peu de ma pensée, qu’il voulait tout entière à son œuvre, Et rien ni personne ne pouvait m’intéresser.

Tout à coup le lustre baissa. Un invisible orchestre, adroitement dissimulé, commença un bref prélude, d’un caractère pastoral, et le rideau se leva sur le noble décor d’un bois sacré, aux environs de Mytilène. Par une échancrure de rochers on voyait au loin bleuir la mer. À l’ombre des myrtes d’Aphrodite, le chœur des vierges, conduit par une chorège blonde, évoluait lentement. Soudain, salué par l’hymne des lyres, le grand vieillard Alcée sortait du bois. Il interrogeait les vierges sur Sapho, qui, dévorée d’ennuis mystérieux, fuyait les temples et les places de Mytilène.

Sur un rythme lent, scandé par les lyres, le chœur traversa la scène et disparut. Seule, la vierge Mélissa demeura près de la fontaine, invoquant la Naïade et murmurant des vers qui exprimaient la douceur et le tourment d’aimer. Comme évoqué par elle, apparut le beau chasseur Phaon. Oubliant son arc, ses flèches et l’ivresse de la poursuite, il vint se désaltérer à la source entre les arches et les iris.

Un dialogue délicieux s’engagea, interrompu par Alcée, qui renvoyait la jeune fille près de ses compagnes et emmenait Phaon.

Ce premier acte, tout parfumé de poésie antique, disposa favorablement le public. En observant le mouvement de la salle, j’y sentis circuler cette électricité de sympathie qui est le sûr présage du succès.



UNE FEMME ASSEZ CORPULENTE…

Abritée par le grillage d’or, je cherchai des visages connus, et, peu à peu, je découvris madame Gérard, assise entre madame Marboy et une jeune femme, sur le devant d’une loge. À l’orchestre, mon vieil ami Lampérier causait avec le critique d’un journal grave. Dans une avant-scène, somptueuse comme un boudoir, des dames agitaient des éventails et croquaient. des pastilles qu’un monsieur leur offrait dans une bonbonnière d’or. Parmi ces dames, je devinai, d’après les indications de Maurice, cette fameuse baronne de Nébriant, sa cousine, dont il m’avait souvent parlé. C’était elle, à n’en pas douter, qui occupait le centre de la loge : une femme assez corpulente, qui ressemblait à un portrait de Largillière, avec son teint fleuri d’un léger fard, ses beaux yeux sombres, ses épais