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sur le nouveau ménage, de ces choses que Geneviève ne voulait pas connaître… Hélas ! Il lui suffisait de les imaginer.


Elle sortit, pour la première fois, avec Renaude.

Les gens chuchotaient en la voyant.

— Comme elle est changée ! Elle a été plus mal qu’on ne l’a cru. Heureusement que Mlle Vipreux était auprès d’elle.


Il vint deux lettres en même temps. L’une était de Lucien Alquier.

J’espère que vous êtes complètement rétablie, et j’en suis charmé, par amitié pour vous, et aussi — je dois l’avouer — parce que je n’aime pas les malades. Achevez votre convalescence à Villefarge. J’irai vous chercher, si vous le désirez, en revenant de Biarritz et de Toulouse où j’ai des chantiers.


L’autre lettre venait de Puy-le-Maure.

…J’étais moi-même au lit, très grippée, quand j’ai appris ta maladie et reçu tes souhaits, ma chère petite. J’admire que tu aies eu le courage, à peine levée, de m’envoyer quelques lignes. La grippe m’a empêchée d’assister au mariage de Bertrand, qui a été célébré, dans l’intimité, le 10 de ce mois. Mon neveu m’a dit qu’il t’avait annoncé le grand événement, que personne chez nous ne prévoyait, et qui a l’air d’un coup de tête. Mais ce n’est pas un coup de tête. C’est un acte de raison, que j’approuve, étant persuadée que, dans la situation de Bertrand, une femme énergique comme la sienne aura sur lui l’influence la plus favorable.

On dû que l’amitié peut très bien mener à l’amour. Je le souhaite, quoique je n’en sois pas absolument sûre. Deux associés, voilà ce qu’ils seront, mais deux associés affectueux et dévoués. Que Dieu leur envoie des enfants ! Ils les élèveront, sans marquer de différence entre les petits l’Espitalet et les deux enfants du premier mariage.


De cette lettre, qui lui fit du mal et qui contenait pourtant une idée consolatrice : Bertrand de l’Espitalet faisait un mariage de raison, — Geneviève retint surtout une phrase : Il m’a dit qu’il t’avait annoncé le grand événement.

Elle répondit à son mari qu’elle était tout à fait bien et qu’elle allait rentrer chez elle.



V

Elle retourna au bureau de poste où le scribe chafouin lui remit la lettre qui était dans le casier depuis trois semaines, la dernière lettre, sans doute, qu’elle recevrait de Bertrand. Elle lut cette lettre, dans la rue même, parmi les passants qui la bousculaient, et elle n’eut pas une larme. Le soir, elle la relut encore, afin d’en bien saisir le sens, et elle la brûla. Cette lettre, triste et gauche, sincère et réticente, dix fois interrompue et reprise, ne venait pas de l’amant que Geneviève avait aimé. Cet amant-là n’existait plus. Il y avait M. de l’Espitalet marié à Mme Laborderie. Il n’y avait plus Bertrand.

Il racontait, d’une manière confuse, l’histoire de ce mariage à quoi Mme Laborderie l’avait amené sans qu’il fût question d’amour… L’amour entre eux n’avait rien à faire. La sympathie, l’estime, la jeune femme « moderne » ne prétendait qu’à cela, et, disait-elle, cela suffisait pour bâtir un foyer solide. C’était elle qui avait