Page:Tinayre - L Ombre de l amour.djvu/29

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tache décolorée. Comme il inclinait la tête, on voyait l’attache puissante du cou et cette forme du crâne qui s’unit à la nuque par une ligne droite, caractéristique chez les gens du Plateau central. Les épaules étaient carrées, le torse trapu ; les jambes un peu arquées devaient peser lourd sur le sol… Toute la personne — sans finesse, mais non pas sans noblesse — d’Étienne Cayrol, révélait l’origine paysanne. Elle exprimait la force, une force stable, lente, réfléchie, sûre d’elle-même.

Denise avait débarrassé la table, et sur la nappe étalée elle disposait les assiettes. Fortunade pliait les draps, de son air toujours dolent. Et le docteur, ragaillardi, sifflotant une bourrée, considérait les deux jeunes filles.

— Vous avez bien travaillé, je vois ça, dit-il. Denise, ton ouvrière est toute pâlotte… Surveille-la… C’est maigre, c’est cheitiu, comme on dit ici, ça ressemble à un ange gothique… Allons, Fortunade, redresse-toi, efface les épaules, respire profondément, quand tu t’en vas par les chemins. Et chez toi, mange du bifteck et bois du bon lait, au lieu de t’empâter l’estomac avec des crêpes de blé noir… Cette vie que tu mènes, le dos courbé, les pieds sur la chaufferette, n’est pas saine… Tu es anémique, et tu es nerveuse… Prends garde !…

— Il faut pourtant que je travaille, monsieur le docteur.

— Travaille, mais soigne-toi, et ne rêvasse pas trop à l’église… Deviens une belle femme pour te