Page:Tinayre - L Ombre de l amour.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réfugié à la campagne, sans le moindre chagrin, persuadé que tout était pour le mieux, et l’événement lui avait donné raison : les origines de Cayrol le rendaient apte à comprendre et à manier le paysan ; l’impossibilité de discuter avec des êtres muets et sourds par prudence devait refréner en lui les fantaisies du théoricien. Peut-être, en certaines occasions, avait-il manqué de souplesse, et même d’habileté, en pourchassant les rebouteux. Mais il avait eu le dernier mot. Sa situation était forte ; son influence morale s’accroissait ; le curé même avait conclu avec lui une sorte de concordat. Le sens pratique l’emportait sur la logique abstraite et périlleuse.

Cayrol avait eu un seul chagrin : l’affaire manquée du Sanatorium. Il s’en consolait pourtant, soutenu par l’incomparable tendresse de sa fille.

Denise était l’unique amour de Cayrol, son plus grand orgueil, son chef-d’œuvre. Il retrouvait en elle l’extrême douceur, la réserve, la délicatesse des Lapeyrie, avec la belle stature et l’énergie physique des Cayrol. Que cette merveilleuse fille eût subi la discipline du couvent, que le mysticisme l’eût, un instant, séduite et troublée, et cela par la faute du père, — faible devant une femme toujours malade, — Cayrol en gardait un remords : « Je n’ai pas été logique », se disait-il. Veuf, il avait repris, avec une autorité passionnée, l’âme de l’adolescente ; il avait détruit la foi chrétienne jusqu’aux racines, et il pensait même avoir aboli, du