Page:Tinayre - La Chanson du biniou, paru dans Le Monde illustré, 1890.djvu/9

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la cuisine et qu’il devina être destinée aux « étrangers de distinction ». C’étaient les mêmes fenêtres, les mêmes rideaux que dans la cuisine, mais une pendule de bronze doré — cet horrible bronze miroitant, cher aux petites villes — un buffet assez banal et trois longues tables en composaient l’ameublement. Au mur, des cartes marines et un tableau représentant le Dolmen, trois-mâts de commerce, commandé par Yves le Bihan, capitaine au long cours, 1876.

— C’est sans doute le père, pensa Robert en déchiffrant l’inscription du cadre.

Et il regarda plus attentivement la jeune fille qui venait de placer une assiette de crevettes roses sur le coin de table où la servante disposait un couvert.

Elle était grande, mince et vraiment fière dans le sombre costume breton. Sa robe noire, ornée de velours au bas de la jupe et aux entournures des manches, tombait en plis droits sur ses pieds. Les manches s’évasaient sur des poignets de toile fine ; le fichu croisé dans le tablier s’ouvrait en arrière sur la guimpe brodée, formant la pointe, et, quand la jeune fille penchait la tête, la chair blonde de son cou apparaissait, veloutée et se fonçant jusqu’à l’ambre vers la racine des cheveux.

Elle allait et venait dans la salle, l’air réservé, parlant peu. Sa coiffe de mousseline, aux ailes abattues, palpitait à chacun de ses pas et tremblait sur sa joue. Elle encadrait si chastement ce jeune visage et mettait sur les yeux bleus une ombre si