Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/345

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enfants bruns. Des religieuses mendiaient pour les pauvres ; des prêtres râpés et sales causaient avec des moines épanouis, — et de temps en temps, une des ruelles transversales, fente obscure et fétide dans le quartier modernisé, lâchait des gamins blêmes, des filles plâtrées, des vieilles pareilles aux figures allégoriques de la Peste et de la Famine.

Marie les apercevait au passage, mais vieillesse, infamie, laideur, prises au courant de la foule, qu’en restait-il, dès que le soleil les avait touchées ? Nul ne pensait à s’émouvoir, nul ne pensait à se plaindre. Les heureux oubliaient la pitié comme les malheureux oubliaient leur peine, dans la béatitude physique qu’apportait le plus précoce, le plus merveilleux des étés. Le paysan brutal assommait toujours son petit âne, mais l’âne avait une rose à l’oreille ; le mendiant aveugle tendait un moignon ignoble vers les passants, mais sa mélopée lugubre avait des langueurs de romance, et derrière le corbillard-carrosse, les pénitents bleus regardaient de côté les belles filles, sans se soucier du mort « qui n’est rien »…

La joie de vivre, élémentaire et puissante, enflait les veines de toute créature, et la bienveillance infinie qui tombait du ciel avec la douceur et l’éclat du jour doré promettait déjà l’ab-