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Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/73

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Tout de suite rabattue par le ciel lourd, elle s’étalait, stagnante et diffuse.

— Quel affreux pays ! dit Isabelle. La laideur des choses s’accorde avec la laideur des gens. Toutes ces figures lymphatiques et blondasses me font penser à des lapins albinos roulés dans le charbon.

Elle montrait les groupes d’ouvriers qui regardaient passer le train.

— Vraiment, la race n’est pas belle… Voyez, Claude, ces traits grossiers, ces corps massifs.

— La race n’est pas fine, mais elle est puissante lorsqu’elle ne dégénère pas par l’effet du travail prématuré ou de l’alcool.

Isabelle reprit :

— Il y a beaucoup d’alcooliques parmi nos ouvriers. Mon mari est très dur pour eux. Moi, je les excuse. Ces gens trouvent à l’estaminet ce que le pays ne leur offre pas : la chaleur, le bruit, la gaieté… une bruyante et brutale gaieté…

— C’est vrai, dit Claude. Le Nord, triste, gris et mouillé, incite aux réactions violentes, et la sensualité populaire, la fureur populaire, sont plus animales ici que partout ailleurs. Le Flamand, lent à s’émouvoir, est, quand il s’émeut, une brute redoutable ! Livré à l’instinct, c’est l’homme des kermesses de Teniers, c’est le gréviste de Germinal… Il boit jusqu’au vomisse-