Page:Tinayre - La Douceur de vivre.djvu/99

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le jour, sinistre le soir, animé vers cinq heures par le défilé des voitures qui font la promenade obligatoire sous les regards des jeunes snobs.

Donna Carmela di Toma, mon hôtesse, tient une pension modeste, inconfortable et peu achalandée. Le descendant des barons Atranelli ne nous avait pas révélé ce secret de famille.

Le soir de mon arrivée, j’ai traversé, en voiture, de grandes rues bien régulières, dallées de lave, sillonnées de tramways électriques, encombrées de charrettes et de petits fiacres malpropres. Les lampadaires électriques bleuissaient la nuit mouillée. Les boutiques, éblouissantes de clarté brutale, jetaient un dur reflet sur la foule hâve, nonchalante et guenilleuse. On devinait des coupures de ténèbres dans les blocs épais des maisons, des impasses, des ruelles grouillantes. Les coups de timbre, le grincement des trolleys, le bruit des roues, les cris des marchands, m’étourdissaient… Et j’étais écœurée par l’odeur d’huile chaude qu’exhalent les cuisines en plein vent.

Des femmes au chignon pointu, aux larges boucles d’oreilles, les épaules couvertes d’un petit châle, s’en allaient, traînant des pantoufles éculées dans la boue… Des gamins sans chemise, la culotte retenue par une ficelle, sales, sales, horriblement sales, couraient près de notre voiture, quémandant des sous et levant leurs pauvres