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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/100

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— Ne vous excusez point. Je suis charmée de vous voir… Mon ami, la peinture se vend mal. Je n’ai pas de génie et pas de chance… Voilà pourquoi ma tante Lassauguette a voulu me réserver un toit pour abriter ma tête, pendant les mauvais jours… un toit inaliénable, insaisissable, un toit qui défie les créanciers !

Elle riait. Ils s’assirent, face à face, et Barral s’écria :

— Que j’aime votre belle humeur et votre vaillance ! Mais je suis peiné, oui, peiné, de vous voir réduite à ce métier de ménagère, vous, une femme délicate, une artiste…

— Évidemment, je préférerais commander mon dîner à un maître d’hôtel… Si vous croyez que ça m’amuse, le ménage !… Mais j’en ai vu bien d’autres, avec mon mari.

— Il avait les dents longues, Pierre Manolé !

— Certes !… Il n’a pas mis trois ans à manger ma petite dot ! C’est vrai qu’il ne la mangeait pas tout seul… On l’aidait.

— Je me demande comment vous avez pu lui pardonner quand il est revenu, après son aventure…

Elle murmura :

— Il était irresponsable, vous le savez bien… Il était fils d’alcoolique, et il avait visité de bonne heure tous les paradis, naturels et artificiels. Il avait de l’esprit sans raison, du génie sans talent, de la sensibilité sans bonté. Parfois naïf et câlin comme un enfant, il devenait tout d’un coup sombre, inquiet, taciturne… Il avait d’abominables fantaisies… Vous ne pouvez pas savoir. Barral !

— Je sais…