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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/101

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— Non… personne au monde… Mais pourquoi parler de ce malheureux ? Je ne pouvais plus l’aimer, mais je ne pouvais oublier que je l’avais aimé…

— Vous êtes bonne…

— On le dit… Tant mieux !… Mais on dit aussi du mal de moi.

— Et que dit-on ?

— Des infamies… Je suis seule ; je n’ai ni mari, ni père, ni frère pour me défendre : alors, les méchants ne se gênent pas… On raconte, par exemple, que je suis une… femme d’amour !

Barral les connaissait, ces « infamies », qui étaient surtout des sottises. Il avait rencontré Fanny trois ans plus tôt, chez madame Lassauguette, et, avant d’entrer dans l’intimité de la jeune femme, il avait entendu des gens, et quelles gens ! porter sur elle les jugements les plus divers.

Personne n’ignorait l’histoire de madame Manolé, fille naturelle de Jean Corvis et d’un modèle italien, mariée à un compositeur presque fou, qui l’avait ruinée et abandonnée et qui était revenu mourir dans ses bras. Des amis et des camarades vantaient la bonté, le courage, la générosité de cette jeune femme ; ils vantaient même sa beauté et son talent. Et cet éloge, souvent maladroit, provoquait les dénigrements systématiques des imbéciles qui étaient surtout des envieux, et des envieuses. Fanny Manolé avait du talent ?… Dame ! elle avait été à bonne école, élevée au milieu des rapins et des modèles. N’avait-elle pas, elle-même, posé demi-nue et peut-être toute nue, devant son père qui l’aimait un peu, beaucoup, passionnément ? Elle était jolie ?… N’était-ce pas fort