Page:Tinayre - La Maison du péché, 1902.djvu/69

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guées, ma nièce et moi, et je n’ai pas la force de faire quatre kilomètres à pied, l’estomac vide.

— Je déjeune moi-même chez Testard, dit Augustin. Voulez-vous partager l’omelette et la salade que la bonne femme a préparées ? Nous irons ensuite à Hautfort.

— Volontiers, répondit la vieille dame. Nous causerons de notre affaire pendant le repas, et nous finirons par nous entendre si vous êtes raisonnable…


Augustin n’était pas commerçant. Il fut si raisonnable que madame Lassauguette fut enchantée.

Après déjeuner, la voiture les emportait tous trois sur le chemin de Hautfort. La tante bavardait, la nièce rêvait, et M. de Chanteprie, assis entre les deux femmes, commençait à s’effrayer des engagements qu’il avait pris. Inquiet, perplexe, il redevenait sauvage et s’écartait de ses voisines autant qu’il le pouvait, les coudes serrés, la tête haute, les yeux fixés sur le cheval.

Fanny avait baissé son voile. Sous la toque de velours, sous le tulle crème, ses beaux yeux brillaient doucement… D’où venait cette femme ?… Était-elle mariée ?… Sans doute, puisqu’on l’appelait madame, puisqu’elle portait l’alliance d’or à sa main gauche… Pourquoi n’avait-elle jamais parlé de son mari ?… Son langage, ses manières, révélaient une bonne éducation, mais on y sentait l’habitude de la liberté, cette aisance particulière que n’ont pas les femmes soucieuses de rester « convenables » et de ne pas attirer l’attention…

« C’est une étrangère, une Italienne, probablement, et une artiste », pensa le jeune homme… Peut-être