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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/10

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« Nous sommes allés jusqu’aux ruines, dit le prêtre, et Mlle Cariste a senti l’heure du dîner…

— Monsieur le curé, dit Mme de Chanteprie, voici M. Élie Forgerus, professeur au collège français de Beyrouth, qui veut bien faire l’éducation de mon fils… Monsieur le curé de Hautfort… Mademoiselle Cariste Courdimanche… Le capitaine Courdimanche… »

Jacquine annonçait :

« Madame est servie. »

Après des saluts et des paroles cérémonieuses, la compagnie passa dans la salle à manger.

Cette grande pièce, dallée en losanges blancs et noirs, boisée de noyer brun, s’ouvrait quatre fois l’an, aux jours des quatre fêtes principales. Thérèse-Angélique de Chanteprie – Mme Angélique, comme on l’appelait familièrement – n’y recevait jamais que l’abbé Le Tourneur, curé de Hautfort, et le couple fraternel des vieux Courdimanche.

Le capitaine, âgé de soixante-cinq ans, prêtait à rire, par l’exagération d’un nez saillant et d’un menton osseux qui faisaient penser à Don Quichotte. Et c’était un Don Quichotte, en effet, pacifique et tendre, qui n’avait d’autre amour que l’amour des pauvres, et d’autre folie que la folie de la Croix. Dans la cour de son logis, il nourrissait des lapins, par centaines, et la vente de ces bêtes augmentait le « budget des charités ». Tel qu’il était, avec son profil comique, son œil gauche crevé par un coup de baïonnette et noyé dans un larmoiement perpétuel, avec ses rudes cheveux gris, sa moustache en brosse, son cuir tanné et coloré, avec sa piété puérile, avec ses manies, avec ses lapins, le capitaine Courdimanche eût mérité une petite place, dans le ciel, à côté du Père Séraphique, amant de Dame Pauvreté et charmeur d’oiseaux.

On disait bien qu’il avait vécu dans l’indifférence jusqu’à son tardif mariage, et que la mort de sa pieuse jeune femme avait opéré le miracle de sa conversion. Mais le capitaine n’avait jamais oublié tout à fait la religion pratiquée dès l’enfance, négligée pendant la jeunesse, retrouvée dès le premier deuil de l’âge mûr. Il avait besoin d’adorer, de vénérer, de servir. Esprit simple et simple cœur, incapable de discuter, il n’était pas redevenu chrétien : il n’avait jamais cessé de l’être.

La sœur du capitaine ne lui ressemblait pas.