Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/120

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au fond des pâles prunelles, il y avait une sorte de lueur sans éclat, comme le reflet d’une émotion secrète.

Il sortit, vaguement troublé. « Qu’a-t-elle donc ? pensait-il. Soupçonnerait-elle ?… Elle ne voit personne, et ce n’est pas M. Le Tourneur, ni les Courdimanche qui m’auraient trahi. S’ils n’ont pas pitié de moi, ils ont pitié d’elle… Mais je n’ai pas communié ce matin, et ma mère s’étonne, s’afflige… Pauvre mère !… »

Il eut presque envie de rentrer dans le salon, de dire : « Je reste… » Mais déjà, pour ne pas désobliger Mme de Chanteprie, il avait manqué deux rendez-vous. Faible devant sa maîtresse, faible devant sa mère, le sentiment de sa lâcheté, le souvenir de ses mensonges, l’emplissaient de honte et de dégoût.

Après la suprême crise de tendresse et de désir, après un paroxysme de joie et d’angoisse inouïe, c’était, maintenant, un bonheur inégal, orageux, des éclairs de volupté, d’étouffantes mélancolies. Trop tôt séparés, elle à Paris, lui à Hautfort, repris tous deux par les habitudes anciennes, Augustin et Fanny souffraient de s’attendre et de se quitter ; ils souffraient presque de se voir. Leurs âmes, oscillant comme des balances affolées, n’étaient jamais en équilibre.

La maison qu’habitait Fanny, rue Boissonade, était une vraie ruche de peintres et de sculpteurs, pour la plupart jeunes et pauvres. Dès sa première visite, Augustin prit cette maison en horreur, et il ne put s’empêcher de dire à Fanny :

« Ne souffrez-vous pas de vivre ici ? Tout ce qui vous entoure, les choses et les gens, me paraît indigne de vous.

— L’atelier est commode, bien éclairé, pas cher… Et… je ne suis pas riche.

— Je le savais, ma chérie, mais je ne m’en étais jamais aperçu, là-bas… Et, sans blesser votre délicatesse, je voudrais…

— Quoi ?

— Ne suis-je pas votre ami, votre amant, l’époux de votre cœur ?… Je voudrais… »

Elle lui mit la main sur la bouche :

« Non, je n’accepterais rien de vous. Si nous vivions ensemble, mariés, tout nous serait commun ; mais, ainsi… je ne veux pas, je ne peux pas… Je dois me suffire à moi-même, et je me trouverai très heureuse et très riche si vous m’aimez… »

Jamais la maison n’avait semblé plus odieuse à M. de Chanteprie, que par ce triste soir de Noël. Dans le couloir en boyau qui