Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/139

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mystique, ni dépravée, n’a pas de plus grand bonheur que d’aimer et se donner. Pour affranchie qu’elle soit des antiques croyances et des vieux préjugés, elle répugne invinciblement à cette espèce d’amour que vous m’offrez, Georges.

— Eh ! ma chère Fanny, vous dites bien légèrement : « les femmes… toutes les femmes… » Parlez donc simplement au nom de Mme Manolé… Car j’ai connu des femmes, et pas des plus vulgaires, qui acceptaient sans déplaisir « cette espèce d’amour » que je leur offrais…

— Que disiez-vous donc, tout à l’heure, que les femmes ont besoin de s’anéantir dans l’être aimé ? Soyez donc certain que ces femmes, « pas des plus vulgaires », avaient poursuivi, sans l’atteindre, l’amour unique, éternel !… En acceptant votre programme voluptueux, par ennui, par désir d’oubli ou de revanche, elles gardaient au cœur l’amer regret de leur premier rêve… »

— Dites qu’aimer un homme comme moi, c’est déchoir…

— C’est descendre de l’amour au libertinage.

— Alors, si M. de Chanteprie vous abandonnait, sachant que je suis là, moi qui vous désire, s’il vous jetait presque dans mes bras, affolée, inconsciente… vous croiriez déchoir, en m’aimant ?…

— En me donnant, oui, car, maintenant, je ne pourrais plus vous aimer…

— Et vous vous résigneriez à vieillir seule, comme une nonne, avec le souvenir de M. de Chanteprie ?…

— Assurément !

— Qui vivra verra !… Pourtant, je vous admire : vous êtes une grande amoureuse, une belle amoureuse. Je vous admire et je vous plains… Vous souffrirez.

— Je souffre déjà.

— Ça me navre de vous sentir malheureuse… N’enlaidissez pas, Fanny, ne devenez pas maussade ! Mon égoïsme est intéressé à votre bonheur. »

Elle ne put s’empêcher de rire.

« Enfin, dit-il, je vous ai trouvée pleurante et je vous quitte presque souriante…

— Vous êtes un fidèle ami, Georges, et vous m’avez fait du bien, ce soir, en me distrayant de ma peine.

— J’aurais été plus et mieux qu’un ami, si vous aviez voulu. Ah ! pourquoi M. de Chanteprie s’est-il jeté entre nous ?… Ne vous fâchez pas ! Je veux ne rien dire, mais je n’en pense pas moins… »