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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/17

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— Certainement.

— Vous ferez bien. Il a le tempérament du père, cet enfant-là.

— Vous avez connu M. de Chanteprie, Jacquine ?

— Je suis venue à Hautfort, quand j’avais quinze ans, avec mon premier maître, un médecin, un savant qui m’a appris beaucoup de choses. Quand il a été pour mourir, il m’a placée chez la mère de Mme Angélique, et je n’ai plus quitté la maison. Pourtant, je ne me plaisais point dans ce pays. Les gens m’ont fait des misères. Ils venaient me chercher pour soigner les malades que les docteurs abandonnaient, parce que je sais des plantes qui guérissent, et des paroles… et puis après, ils m’appelaient sorcière, et porte-malheur, et vieille Chavoche…

— Chavoche ?

— Une chavoche, c’est une chouette… Tout de même, j’ai élevé Mme Angélique ; je lui ai attaché son voile de noces ; j’ai reçu son enfant quand il est né ; j’ai enseveli le pauvre père… Un jeune homme de vingt-cinq ans, chétif, pâle, qui toussait toujours… Un beau parti pour une fille !… Je le disais bien à feu madame, qu’un mariage entre cousins, ça ne donne rien de bon ; mais ils sont obstinés, dans la famille… La demoiselle pleurait son cher couvent ; mais on lui a dit que « sa vocation n’était pas certaine ». Alors, pour obéir aux parents, elle a consenti. Et notre Augustin est né… Oh ! je l’ai chéri, cet enfant-là, avant même qu’il fût au monde… J’étais vieille déjà… Je pensais que la jolie petite créature remettait de la joie dans la maison ; mais il était trop tard !… Monsieur allait mourir. Madame tombait dans la sainteté. C’est une femme qui ne pense qu’à la mort.

— Il faut penser à la mort, Jacquine, pour vivre chrétiennement.

— Allez, allez, dit la vieille, on n’a qu’une vie : faut la vivre comme on peut, et laisser les morts tranquilles… Les pauvres morts sont bien morts. »

Accroupie sur les tallons, elle arracha une poignée d’herbes qu’elle tria soigneusement.

« Quelles plantes cueillez-vous là ?

— Ça, c’est des bonnes herbes, des herbes de pharmacie, meilleures que toutes les drogues des médecins. Je les cultive, je les récolte, j’en fais des sirops et des infusions, des baumes pour les compresses, des remèdes pour les entorses et les brûlures.

— Vous êtes jardinière, ici ?