Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/174

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Rends-moi tes lèvres… Tant de souvenirs !… Rappelle-toi !… Fanny, maîtresse adorée !… »

Leur cri d’amour expira dans les ténèbres et le désordre du lit. Les émotions contradictoires avaient exaspéré la sensibilité d’Augustin. Scrupules, remords, pudeur, tout sombra. Il ne fut plus maître de lui-même. Elle triomphait :

« M’aimes-tu ?…

— Je t’aime…

— Plus que ton salut ?

— Plus que mon salut.

— Jusqu’au péché ?

— Jusqu’à la damnation, jusqu’à la mort éternelle… Ah ! me perdre avec toi !… rouler dans un abîme… ne plus penser… dormir… mourir…

— Va ! l’éternité incertaine ne vaut pas une nuit d’amour… Tes mains sont glacées !… Tout ton corps tremble !…

— C’est le bonheur ! Je pleure de bonheur… Ah ! berce-moi… parle-moi… endors-moi. Ton parfum m’enivre…

— Pauvre, pauvre enfant !…

— Oui, un pauvre enfant, sans force, sans volonté… qui souffre… qui t’aime…

— Apaise-toi !… Ferme les yeux… Oublie… Nous sommes seuls au monde. Rien n’existe hors de nous. Les pavots fleurissent sur notre peine, et conseillent le sommeil… Endors-toi…

— Les pavots… oui… l’amour, la mort…

— Que parles-tu de mort ?… Tu délires ?… Nous sommes jeunes et pleins de vie… Aimons-nous !…

— Longtemps… Toujours !…

— Toute la nuit.

— Toutes les nuits de ma vie.

— Tu ne me quitteras plus. Tu me suivras bien loin…

— Au bout du monde, hors du monde !… Donne-moi encore un baiser… Endors le souvenir qui me tue, anéantis le passé, verse-moi le sommeil de l’esprit, la volupté, les beaux songes… l’oubli… »

Les heures grises qui annoncent l’aube tombaient du clocher de Hautfort. Un fil pâle raya les volets. Le sifflet d’un train déchira l’air frigide. C’était le temps où Mme de Chanteprie, à genoux dans sa cellule, disait Matines devant le Christ aux bras étroits…