Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/186

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Il s’occupa de la cuisine avec M. d’Éragny, gentilhomme du Vexin, et plus tard il transcrivit les ouvrages des autres Solitaires, le caractère de son écriture estant fort bon.

Il mourut de la mesme maladie que le sieur Jacques Lindo. Un assoupissement soudain lui prit, après trois ou quatre accès de fièvre tierce et double tierce. M. de Saci le visitoit tous les jours et l’encourageoit. Je n’ay point veu d’homme aller plus droit à Dieu. Sa candeur, son affabilité toute chrétienne, tiroient des larmes au bon M. Pallu, nostre médecin. Dès que sa maladie parust dangereuse, on prit soin de lui donner le saint viatique, qu’il receut avec beaucoup de larmes et de soupirs, répétant les demandes quotidiennes que les Solitaires ont ajoutées à leur prière du matin :

« Faites-moy la grâce, ô mon Dieu, d’estre du petit nombre de vos élus !

« Faites-moy la grâce de coopérer à vos saintes grâces !

« Faites-moy la grâce de vivre et de mourir pénitent ! »

L’horreur de ses péchés estoit toujours présente à son esprit, mais non pas moins présente que la miséricorde de Dieu, cette miséricorde qui ne paroist jamais plus grande que lorsqu’elle regarde une très-grande misère. Ainsi mourut ce bon serviteur de Jésus-Christ, tué à la fleur de l’âge par les exercices de la pénitence, qu’il poussoit aux extrémités. Il fust enterré dans le chœur du dehors, à vingt pas au-dessous de la grille, regretté des Sœurs et des Hermites, qu’il avoit servis avec une bonté extraordinaire. On fit un jeûne ou abstinence de neuf jours pour achever sa pénitence et soulager son âme.

Toute la soirée, Augustin demeura penché sur les manuscrits où pâlissait l’encre jaunâtre. Il se coucha fort tard, et, brisé par un sommeil pénible, s’éveilla vers le milieu de la nuit.

Étendu sur le dos, les yeux grands ouverts, il repassa dans sa mémoire les actes du drame dont il sentait venir le dénouement : la première rencontre avec Fanny, le dîner chez les Courdimanche, la jeune fille vertueuse et sans attrait, l’abandon d’un projet de fiançailles qui eût changé sa destinée… Puis l’amour, déguisé d’abord sous les apparences d’une tendresse toute spirituelle, l’aveu, l’élan de Fanny vers la foi, son inexplicable résistance à la vérité, la séduction sournoise, et la chute… Il songea que l’incrédulité de Fanny n’était plus l’effet de l’ignorance, mais d’un volontaire aveuglement, et que la rebelle, opiniâtrement insurgée contre le dogme et la morale catholiques, n’avait pas livré le combat sans guide et sans secours. Le seul hasard n’avait pas introduit dans la vie d’Augustin cette créature, armée tout exprès pour une œuvre de ruine. Derrière elle, on devinait l’instigateur des révoltes, l’artisan des tentations.

L’idée d’une manœuvre diabolique obséda M. de Chanteprie,