Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme un point fixe et brillant parmi les mirages de la fièvre et du demi-sommeil. « Je deviens fou, songea-t-il, je divague… Fanny m’a tendrement aimé… » Pourquoi les souvenirs du jeune amour fondaient-ils dans sa mémoire, s’évanouissaient-ils en brouillard ?… D’autres souvenirs sortaient de l’ombre avec le relief et la couleur de la vie. Les tempes d’Augustin battaient ; ses oreilles retentissaient de clameurs confuses ; son imagination malade enfantait des monstres féminins, goules et succubes, qui ressemblaient à Fanny… Et tout à coup, Augustin sentit que quelqu’un était là… Cloué sur le lit, il poussa le cri muet de l’épouvante. Un instant s’écoula, une éternité. Il crut percevoir le contact immatériel, la fuite silencieuse de l’Invisible…

Un jour terne rampait sur le plafond de la chambre quand il reprit conscience de la réalité. La porte battait. Augustin, demi-vêtu, courut dans la bibliothèque. L’eau de pluie, amassée sur le balconnet, coulait en longue rigole noire.

« L’horrible nuit ! pensa-t-il. Le vent soufflait en tempête jusque dans mes cauchemars… Ah ! ces figures, ces voix du délire !… »

Autour de lui, les meubles déplacés, poussiéreux, n’avaient plus leur physionomie familière… Il se dit qu’avant le maître, l’âme du logis s’en allait.

La poitrine découverte, les cheveux trempés de bruine, rafraîchissant ses mains fiévreuses au fer mouillé du balcon, il regarda la maison des ancêtres dont la brique fanée rougissait entre les tilleuls.

Une tendresse désespérée l’accabla.

« Comme j’aimais toutes ces choses, la maison, le jardin, le cirque de coteaux qui s’échancre sur la plaine, et les toits de la vieille ville, et jusqu’à l’herbe des pavés !… Mes premières années m’apparaissent dans un brouillard suave, comme les lis de l’autel dans une vapeur d’encens. Que j’étais pur et paisible !… Ô mon enfance, toute pâle d’avoir fleuri à l’ombre du Passé ! Ô ma jeunesse, abusée par la chimère d’un céleste amour ! Adieu, fantômes de moi-même !… Où est-il, maintenant, le fils de Thérèse-Angélique, l’élève bien-aimé de M. Forgerus ?… La Maison du Pavot va se rendormir dans la nuit. Augustin de Chanteprie n’est plus qu’une ombre parmi les ombres… »

Soudain les coups réguliers de la première messe sonnèrent au clocher de Hautfort : « La messe de cinq heures, la messe des