Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/191

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« Ce matin, après notre entretien, je suis allé au pavillon. Les volets de la chambre étaient fermés… J’entre : personne… aucun bruit… Je monte l’escalier : Augustin sort de sa chambre tout à coup… Il se trouve dans mes bras.

« Je vous l’avouerai, madame, dans ce premier moment, j’avais presque oublié mon rôle. Nous étions, troublés jusqu’aux larmes, incapables de nous entendre… Vivement, je l’ai entraîné dans la bibliothèque. Nous nous sommes remis, peu à peu ; j’ai regardé Augustin, et j’ai vu qu’il ne ressemblait plus à l’adolescent dont je gardais l’image dans mon souvenir. Un homme était près de moi, un homme que je sentais malade d’âme, et peut-être malade de corps, un homme que je devais aimer non plus comme un fils, mais comme un frère…

« Il a compris que je savais tout. Il a semblé déçu, contraint. Ne voulant pas jouer la comédie du miracle, j’ai dit simplement la vérité ; comment vous m’aviez appelé par lettre en janvier dernier, lorsque j’étais en voyage de convalescence, après une grave maladie ; comment j’avais eu connaissance de votre lettre, à mon retour, et quel échange de dépêches avait brusquement décidé mon départ, malgré les représentations de M. de Grandville. « Ainsi, vous n’êtes pas venu par hasard ? Vous étiez averti ? Ma mère vous attendait ? – Oui, certes, et je correspondais avec elle, télégraphiquement, par l’intermédiaire de Mlle Courdimanche. Votre Jacquine était suspecte, mon cher enfant… Suspecte, au moins, de complaisance… » Il a détourné la tête : « Puisque vous êtes si bien informé, vous savez qu’il est trop tard. – Je sais que vous êtes très malheureux et que je viens pour vous sauver… Osez me dire, en face, que vous n’êtes pas infiniment, affreusement malheureux !… » Je lui tenais les mains. Il essayait de fuir mon regard… Ah ! ce pauvre visage amaigri, ravagé… »

Mme de Chanteprie murmura :

« Il vous a dit qu’il allait partir, avec… cette femme ?

— J’ai posé la question, Augustin m’a répondu par des paroles contradictoires. Il redoute je ne sais quelle influence néfaste pour cette femme, s’il la quitte – et pourtant, il parle d’une crise morale, d’un suprême avertissement de Dieu… Tout est désordre dans sa pauvre âme… À vrai dire, je crois qu’il a eu déjà plusieurs fois l’obscur désir, sinon la volonté de se reprendre ; mais devant la rupture nécessaire, son cœur se révolte éperdument. Il aime cette femme.