Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

barbe frisée avaient des robes jaunes, modelées en violet, et gonflées de vent. Les saintes femmes étaient délicieuses, avec leurs cheveux dont le blond verdissait sous un chapeau pointu et le blanc gris de leurs collerettes tuyautées. Les paysages tourmentés et minutieux montraient à la fois des rochers, des cèdres, les méandres déroulés d’un fleuve, les petits sentiers à travers la plaine, les petits arbres en boule, et toutes les maisons des villes, et toutes les fenêtres des maisons. Dans la partie inférieure du vitrail le donateur et sa femme, agenouillés, étaient reproduits scrupuleusement dans leur laideur authentique.

Élie Forgerus ne s’arrêta guère à les regarder. Il se reprochait déjà sa trop longue promenade et la joie qu’il avait éprouvée devant le miracle quotidien de l’aube. Voilà qu’il avait retardé l’heure de sa méditation, séduit par les prestiges de la lumière, cette « reine des couleurs », dont saint Augustin a dit la douceur et la puissance. Ses yeux, depuis longtemps détournés de la nature, ne cherchaient plus que la lumière incréée, la lumière que voyaient Jacob et Tobie aveugle. Et plus que la nature, l’art, même l’art chrétien, inquiétait Forgerus.

Il se rappelait d’étranges sensations de son enfance, lorsque sa mère le traînait d’église en église, dans la ville demi-espagnole qu’ils habitaient. Mme Forgerus était une femme brune, sèche, laide, avec des yeux magnifiques où brûlaient tous les bûchers de l’Inquisition. Elle aimait son mari et son fils d’un amour prompt aux caresses et aux injures, aisément dominateur et qui jouissait d’être humilié. Et elle aimait Dieu de la même façon, avec des raffinements et des violences. La nuit des cryptes, le brasillement des cierges, les images effroyables de la mort et la pourriture, les extases ruisselantes de pleurs, toute la matérialité du culte l’attiraient. Elle attachait sa dévotion comme un ex-voto espagnol, un cœur d’or brillant et creux, au socle des Vierges noires.

Élevé par cette femme, Forgerus avait manqué d’être l’adolescent faussement pieux et faussement sentimental qui demande des excitations passionnelles aux hymnes sacrés, aux fleurs, à l’encens, au sourire même de la Vierge, – et ce souvenir l’emplissait de honte. Maintenant il repoussait l’intrusion sacrilège de la littérature dans la religion, la fausse grandeur, le charme malsain qu’elle y ajoute. L’art n’est-il pas le piège où l’âme, en quête d’émotion pieuse, trouve, avec l’illusion de la ferveur, un charnel et dangereux plaisir ?