Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/200

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pas quitte encore… Mettez la lampe sur la table ; asseyez-vous ici… Tout à l’heure, mon cher enfant, vous avez dit, à peu près : « Je n’ai d’autre refuge que le cimetière ou le cloître. » Et je vous ai répondu : « Le cloître vous est ouvert. » Mais il paraît que vous n’avez pas l’âme d’un Rancé… Que faire, alors ?… Je n’ai pas envie de vous voir mourir, et je souhaite que vous trouviez votre place dans le monde.

— Ce sera difficile…

— Il vous faudrait Port-Royal, avec l’indépendance relative, la règle volontairement acceptée, l’absence de vœux qui rassure les consciences scrupuleuses, le travail intellectuel et manuel…

— Oui. Je lisais hier, avec une émotion profonde, l’histoire d’Étienne de Chanteprie, ce poète aimé des dames, qui demanda par grâce qu’on le mît garde-bois, à Port-Royal, et qui fit une sainte mort dans les bras de M. de Saci et de M. le Maistre… Ah ! que j’eusse été heureux de marcher avec lui dans les terres, de porter le petit justaucorps de toile, de copier les manuscrits de M. Arnauld et même de m’occuper à la cuisine avec M. d’Éragny, « gentilhomme du Vexin » !… Que de fois, je me suis plu à vivre, par l’imagination, cette vie des Solitaires !… Mais il n’y a plus de Port-Royal…

— S’il y avait un Port-Royal en France, j’y serais, Augustin, et je vous y recevrais avec joie. Ignorez-vous pourtant qu’il existe encore, de nos jours, des couvents, des asiles, des hôpitaux d’âmes où des hommes très saints et très savants reçoivent, pour quelques semaines, les pécheurs comme nous ? Vous savez qu’avant de partir pour Beyrouth, j’ai eu le très grand bonheur de faire une retraite dans une abbaye cistercienne du Limousin…

— À la Trappe de Saint-Marcellin ?

— Précisément. Le Père abbé est mon ami d’enfance. J’irai lui demander l’hospitalité, ces jours-ci, une longue hospitalité… Dom Robert met sa bibliothèque à ma disposition. J’en ai l’âme toute réjouie. »

Il décrivit le monastère bâti dans la vallée, ceint d’une muraille vaporeuse par la brume des étangs ; la ruche muette de la ferme ; les frères convers en robe brune et en sabots, menant la charrue ou fauchant les foins ; les pères de chœur en coule blanche ; et la beauté des offices nocturnes, et la douceur des méditations, et le silence…

« Oui, ce serait le havre du salut.

— Dites un mot, je vous emmène.