Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/205

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ses pas, répétant le monologue intérieur dont l’écho brisé lui montait aux lèvres :

« Il m’aime. Je ne veux pas douter de lui… Assurément, il est malade… Mais Jacquine ne me laisserait pas sans nouvelle… Non, c’est Mme de Chanteprie qui est malade. Elle va mourir, peut-être… Alors, tout sera changé… Augustin, libre, m’appartiendrait, à moi seule !… Non… il verrait sa mère entre nous, toujours. Il dirait que nous l’avons tuée. Oh ! savoir ! savoir !…

Elle enfonçait ses ongles dans la paume de ses mains. Des gens la regardaient. Elle pensa : « Ils me croient folle ! » et soudain, elle changea de route, gagna le boulevard presque désert qui borne le cimetière Montparnasse… Des enfants minables jouaient çà et là ; les mères les tançaient à voix criardes.

« Partir ! songeait la pauvre amoureuse. Relancer Augustin au chevet de sa mère !… Rencontrer Mme de Chanteprie au chevet de son fils… Que faire ! mon Dieu, que faire ?… Allons ! je m’inquiète sottement : j’aurai une lettre au prochain courrier… Et si je ne l’ai pas ?… » Elle éprouva, par avance, le navrement de la déception… « Je partirai demain pour Hautfort. Je rôderai autour de la maison et je finirai par rencontrer Jacquine… » « Jacquine ! Elle répondrait, sans doute, si je lui télégraphiais. Elle m’est toute dévouée… J’aurais une dépêche demain matin. Comment n’y ai-je pas songé plus tôt ? C’était bien simple… »

Fanny courut au prochain bureau de poste. La dépêche envoyée, elle respira, le cœur moins lourd, entrevoyant la fin de son supplice. Cependant, elle n’osait rentrer chez elle, dans l’atelier si lugubre au soir tombant… Par les avenues qui bordent le cimetière de l’Ouest, elle reprit sa marche incertaine. Le paysage de pierre prolongeait les lignes rigides des façades parallèles, la fuite interminable des murs troués sur des terrains vagues ou des chantiers. Derrière les grilles des marbriers, stèles, croix, chapelles gothiques, sarcophages égyptiens éclataient de blancheur crayeuse. Les becs de gaz clignotaient dans le soir mauve. Le ciel s’embrumait de vapeurs rousses sur le pont du chemin de fer. Sans trêve, douloureuse et discordante, la sirène d’une fabrique répondait aux sifflets des trains comme un monstre prisonnier à l’appel des monstres libres.

Et dans ce triste lieu, à cette heure triste, l’âme de Fanny s’élança vers le sillage aérien des fumées, vers la machine aux yeux de flamme qui rugissait la joie du départ… Mais, partout, barrant