Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/204

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Timide, comme un pauvre honteux implore une aumône, Fanny demanda :

« Le courrier de cinq heures est arrivé ?

— Oui, madame. Il n’y a rien pour vous.

— Vous êtes sûre ? »

La concierge, indignée, réplique :

« Puisque je vous le dis. »

Mme Manolé ferma la porte de la loge : et s’en alla droit devant elle, sur le boulevard Raspail.

Depuis cinq jours, elle avait passé de la surprise à la colère, de la colère à l’angoisse, et de l’angoisse à une espèce de folie somnambulique. Le monde extérieur avait disparu. Elle n’en recevait que des échos lointains, des reflets amortis, la sensation du jour décroissant avec son espoir et renaissant avec sa peine. Elle ne sentait plus ni la faim ni le sommeil. Son imagination lui représentait, tour à tour, Augustin malade, veillé par Mme de Chanteprie, Augustin près de sa mère agonisante, tourmenté d’affreux remords, Augustin saturé d’amour, honteux de sa folie, cherchant une occasion de rompre. Elle avait tout prévu, le pire et l’impossible, excepté le retour de Forgerus et le drame de conscience dont « monsieur le maître » précipitait le dénouement.

Pour la centième fois, elle se répétait à elle-même la dernière parole du jeune homme : « Toute une vie… » Sous les arbres du boulevard, elle marchait, berçant son angoisse au rythme de