Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/235

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faut vivre ! » Augustin subissait le charme… Faible et confiant, il s’abandonnait, il s’appuyait sur le cœur de Jacquine comme sur le cœur même de la nature.

Et, contre toute espérance, ses forces revinrent. Le premier dimanche de carême, il put se lever, et l’abbé Le Tourneur dit une messe d’actions de grâces.

Les bons Courdimanche remerciaient Dieu, dans une explosion de joie, mais Mme de Chanteprie restait soucieuse.

« En vérité, dit-elle à Mlle Cariste, je pense comme Angélique Arnauld : « La tendresse humaine nous porte à nous réjouir de la convalescence de ceux que nous aimons, mais il y a quelquefois en cela plus d’affection que de sagesse. »

Mlle Cariste sursauta :

« Ma bonne amie, que prétendez-vous dire ?

— Ne soyez pas scandalisée. Comme mère, je me réjouis de la guérison d’Augustin ; comme chrétienne, je souhaite de n’avoir point à déplorer cette guérison. Si Dieu l’avait voulu, mon fils se reposerait enfin dans la gloire ; il prierait pour moi ; il m’attendrait… Et moi, je mourrais en repos… »

Mlle Courdimanche respectait la Sainte, mais elle ne put s’empêcher de balbutier quelques phrases sur l’amour maternel, « cet instinct sacré… »

« Il n’y a pas d’« instincts sacrés », riposta Mme de Chanteprie. L’instinct nous est commun avec les animaux, et sainte Élisabeth demandait à Dieu de le détruire en elle, et de lui accorder la grâce « de ne plus aimer ses enfants selon la chair ». Était-ce une mère dénaturée ?

— Puisque l’Église l’a canonisée, je ne veux pas blâmer sainte Élisabeth. Cependant…

— J’aime mon fils, reprit Mme Angélique, j’ai passé ma vie à prier pour lui, et parce que je l’aime, Mlle Cariste, son salut m’est plus précieux que sa vie…

La vieille demoiselle ne trouva rien à répondre. Elle n’était plus bien sûre que le Dieu de Mme de Chanteprie fût le même Dieu qu’elle adorait, elle, Cariste Courdimanche… « Non ! pensait-elle, je ne reconnais pas Notre-Seigneur dans ce Christ farouche. Notre-Seigneur ne demande pas des sacrifices humains ; il comptait aux faiblesses de ses créatures, et l’on désarme sa colère avec des prières, des aumônes et une sincère contrition… »

Le sourire de Jésus enfant, le lis de saint Joseph, les mains