filtrant par les carreaux, à travers la buée odorante, faisait briller le serpent argenté de ses cheveux et la turquoise pendue à son oreille… Elle était si caressante, si amusante, la Chavoche, et si effrayante aussi !…
Les gens qui la détestaient venaient la quérir, parfois, en grand mystère, car elle connaissait des emplâtres merveilleux contre les douleurs, et des racines qu’on met sous l’oreiller des enfants en convulsions, et des tisanes qui guérissent la colique et la fièvre. Et même on disait qu’un homme de son pays lui avait appris à découvrir les sources avec une baguette de coudrier ! Mais Jacquine n’osait avouer tous ses talents… Elle obligeait volontiers les voisins, pour rien, pour le plaisir, mais elle redoutait que sa réputation de thaumaturge ne vînt aux oreilles de Mme de Chanteprie.
Mlle Courdimanche n’aimait pas la Chavoche. Jacquine allait à l’église, comme tout le monde, « parce que les gens ne sont pas des chiens ». Elle croyait peut-être en Dieu… Et pourtant, elle n’était « pas bien catholique » ! Ces mots, entendus cent fois, troublaient Augustin. Il priait ardemment pour sa vieille bonne et suppliait Jésus de l’éclairer. « Mon Dieu, disait-il, si vous voulez que je sois heureux dans votre paradis, mettez-y tous ceux que j’aime : maman, Mlle Cariste, M. Courdimanche et Jacquine… »
Assurément, Mme de Chanteprie irait au ciel tout droit, et aussi les Courdimanche. Mlle Cariste collectionnait les indulgences depuis plus de quarante ans ! Elle ne laissait pas sonner l’heure sans murmurer l’oraison : « Cœur de Jésus, sauvez-moi ! » qui lui épargnait cinquante jours de purgatoire. Parfois, elle avait eu le désir de faire ce que l’abbé Le Tourneur appelait l’« acte héroïque », l’abandon de toutes ces indulgences en faveur des âmes souffrantes, mais une lâcheté puérile avait retenu sur ses lèvres la formule de renonciation. Elle craignait l’enfer, Mlle Cariste ! Prudemment, elle portait deux scapulaires, des médailles et un chapelet bénit à son poignet. Les jours d’orage, elle allumait un bout de cierge offert par M. le curé. Augustin avait passé de bonnes heures dans son petit salon, blotti contre sa jupe, écoutant des anecdotes tirées des Annales de la Sainte-Enfance ou des Annales de la Propagation de la Foi. Ces récits enivraient l’enfant… Il rêvait d’être le missionnaire à grande barbe, qui évangélise des sauvages coiffés de plumes et trouve la palme du martyre dans une ville chinoise, très loin… Déjà il voyait le poteau du supplice, les