Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/27

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Les années passèrent. On vit fleurir sept fois et s’effeuiller les pavots blancs dans les urnes de la terrasse. Mme Angélique ne sortait plus. Mais les filles de Hautfort savaient que M. de Chanteprie avait des cheveux d’un blond cendré et des yeux doux comme des violettes, et elles regrettaient qu’il fût dévot.

On le rencontrait rarement en ville, et presque toujours avec son précepteur, dont la mine effarouchait les coquettes. « Voilà les messieurs de Chanteprie », disaient les petits enfants. Alors Julie, la modiste, venait au seuil de sa boutique, en corsage rose. Berthe, Jeanne, Cora, les bras enlacés, barraient la rue et faisaient de grands rires… Marthe, la repasseuse, levait son rideau de mousseline, et devant la cour du maréchal, pleine de cris, d’étincelles et de ruades, une poitrinaire de seize ans, la petite Mélie, frissonnait plus fort sous ses châles et suivait le jeune homme d’un regard triste et jaloux.

Augustin ne regardait pas les filles. Et toutes le disaient fier et sauvage, un peu « toqué », sans doute comme ses parents : de la « graine de curé, qu’on mettrait bientôt au séminaire ».

Mlle Courdimanche avait répandu ce bruit dans la ville. Il lui paraissait impossible que le « petit ange » n’eût pas la vocation. Elle tâcha de confesser le jeune homme. Augustin répondit tout net : le sacerdoce l’effrayait. Il n’avait pas senti encore le mouvement intérieur, l’impulsion décisive de la grâce. À dix-neuf ans, ses études achevées, il commençait d’administrer son patrimoine, avec une gravité de jeune Romain, roi dans sa maison, roi sur sa