Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sa réputation. Impitoyable aux servantes qui « fautaient », elle terrifiait les employés, quand elle traversait la boutique, parmi les Jésus peinturlurés et les ostensoirs de vermeil.

Cette majestueuse personne écoutait en bâillant les discours du capitaine et songeait que le gendre promis ne se hâtait point d’arriver. Impatiente, elle tançait « Fillette », qui oubliait de se tenir droite, oubli fâcheux, car Eulalie Loiselier avait naturellement la poitrine creuse et le dos rond. « Fillette », vivant portrait de son père, anémique et blondasse, le teint presque aussi beige que sa robe beige. « Fillette » faisait penser à ces malheureux petits brins d’herbe sur lesquels on a marché.

« Dites donc, cousine, fit l’abbé Chavançon, est-ce que votre jeune ami n’aurait pas oublié l’heure, à courir les bois ?

— Augustin ne court pas les bois. Il est à Hautfort et je l’ai vu aujourd’hui même, très affairé, parce qu’il était en pourparlers avec des Parisiennes qui vont acheter les Trois-Tilleuls. »

L’abbé Chavançon se tourna vers un prêtre très grand, mal vêtu, le visage énergique et creusé, les cheveux bruns, droits sur la tête.

« Des paroissiennes pour vous, Vitalis.

— Si elles ressemblent à mes autres paroissiens, il me restera du loisir pour cultiver mon jardin ! dit le prêtre au visage sombre.

— Oui, Rouvrenoir est une cure de tout repos… Beau pays de chasse, par exemple !

— Gâté par les braconniers. Il y a encore du faisan, mais le lièvre disparaît !… Et le perdreau se fait rare !

— Et dites donc… le casuel !… Il n’est pas fameux, le casuel ?

— Plutôt chétif. Mais j’ai peu de besoins, et ma mère est si économe !

— Ah ! vous avez votre mère avec vous ! C’est bien commode. On a tant d’ennuis avec les servantes ! Les meilleures s’abîment à Paris. »

La servante annonça :

« Monsieur de Chanteprie. »

Le capitaine s’élança, saisit Augustin par la manche et le présenta aux dames Loiselier. Puis, tout bas :

« Offre ton bras à la demoiselle. »

On passait dans la salle à manger. L’abbé Chavançon commença aussitôt l’histoire de ses dernières vacances. M. de Chanteprie,