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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/46

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compagnie s’ennuyait convenablement dans cette pièce minuscule, qui sent la cave et la sacristie.

La compagnie, c’était M. et Mlle Courdimanche, l’abbé Le Tourneur, l’abbé Chavançon, vicaire d’une grande paroisse de Paris ; c’était l’abbé Vitalis, curé de Rouvrenoir, c’était M. Loiselier, fabricant d’images religieuses, membre de la Société de Saint-Vincent de Paul, Mme Loiselier, présidente de l’« Association des Mères Chrétiennes » de son arrondissement, et Mlle Eulalie Loiselier, leur fille.

Ils étaient venus à Hautfort, invités par Cariste Courdimanche, qui les connaissait à peine, et présentés par l’abbé Chavançon, qui les connaissait beaucoup. L’abbé, bon garçon, d’humeur avenante et de belle mine, dirigeait ces dames Loiselier, qui en avaient fait le conseiller indispensable, l’oracle de la maison. Il régnait ainsi sur quelques familles où son couvert était mis à un jour marqué de la semaine, où l’on n’achetait pas un meuble, où l’on n’ouvrait pas un livre, où l’on ne mariait pas une fille sans consulter M. l’abbé… M. l’abbé plaisait aux dames parce qu’il était indulgent, spirituel, « homme du monde » ; il ne déplaisait pas aux maris parce qu’il aimait les bons mots, et faisait oublier sa soutane, un peu gênante quelquefois. Trop léger pour être hypocrite, trop bien portant et trop gai pour être vicieux, Chavançon était, comme M. Le Tourneur, un fonctionnaire clérical qui ne valait ni plus ni moins qu’un autre fonctionnaire. Il faisait son service, touchait ses appointements, et vivait content de soi et des autres. Chaque été, il partait pour un grand voyage, ravi d’échanger sa robe contre des vêtements civils ; alors, il allait au théâtre, au concert, heureux de son escapade comme une femme du monde qui se compromet. Et il était si peu prêtre, par l’accent et par l’allure, qu’on le prenait partout pour un acteur.

Cette incorrigible gaminerie, cette bonne humeur débraillée avaient charmé les Loiselier. Monsieur était un de ces hommes dont on ne dit rien, qu’on voit à peine, un quinquagénaire effacé, timide, qui était toujours de l’avis de tout le monde. Un sang pauvre colorait mal ses joues rasées, et, avec ses cheveux rares et pâles, avec ses chairs blêmes, M. Loiselier avait l’air d’un navet malade. Il tremblait devant madame son épouse, une maîtresse femme, qui était le maître de la maison. Grande, vigoureuse, Mme Loiselier portait des robes cossues, des gourmettes d’or aux poignets, des chapeaux à plumes. Elle aimait l’argent, et tenait à