Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/53

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cheveux noirs étaient plus noirs sous la guirlande des fleurs pourpres. Le jeune homme, accoutumé aux robes étriquées, aux chapeaux surannés des dévotes, s’étonnait à voir ce costume chaste et hardi.

Depuis que Mme Manolé habitait les Trois-Tilleuls, il la rencontrait presque chaque jour, dans la campagne. Elle peignait, assise sur un pliant, devant un petit chevalet, et le parasol fiché en terre traçait autour d’elle un cercle d’ombre. Attentive, elle levait et baissait ses grands cils, sans remuer la tête, et sur le papier ses doigts délicats, maniant les crayons colorés, laissaient une poussière plus fine que celle des papillons, une poussière qui devenait des frissons de ciel et des frissons de feuillage. Quand elle apercevait M. de Chanteprie, elle le saluait d’un sourire. Il osait s’approcher quelquefois…

Ils entrèrent dans la salle à manger, mi-obscure, très fraîche, meublée d’une table massive, d’une vieille huche et d’un bahut de noyer. La fenêtre avait des rideaux à carreaux rouges et blancs, et la tenture des murailles, d’un ton de brique doux et chaud, s’accordait avec le bois brun des solives.

« C’est charmant ! dit Augustin.

— Il ne me manque plus que des cuivres et des faïences, çà et là. J’en trouverai chez les Martin, à Gariguières, m’a-t-on dit. J’aime ces vieilleries. Mon père possédait une collection de faïences, très belles, qu’on a dû vendre après sa mort. Quand j’étais petite, il m’emmenait avec lui dans des hameaux bretons et normands, et nous faisions des découvertes merveilleuses… Mon pauvre père ! Il était si gai, si vivant ! Il ressemblait à sa peinture… Vous connaissez la Fête galante qui est au Luxembourg ?

— Je ne suis jamais allé au Luxembourg… seulement au Louvre, une fois…

— Une fois !

— Pas davantage.

— Qu’avez-vous donc fait depuis que vous êtes au monde ? demanda-t-elle, avec un accent de commisération qui fit sourire Augustin.

— Je devine votre pensée, madame… Mon ignorance vous paraît si invraisemblable que vous ne savez plus si je suis un « monsieur » ou un paysan.

— Si nous avions cent ans de moins, je répondais : « Ni un paysan ni un monsieur, mais assurément un gentilhomme. »