Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/54

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— Soit ! dit Augustin, qui sentait toute la délicatesse de cette réponse, un gentilhomme campagnard, un peu plus lettré que Testard, mais guère plus civilisé. »

Elle l’écoutait avec tant de bonne grâce qu’il perdait soudain sa timidité et parla comme il eût parlé à un homme de son âge. Il raconta brièvement l’histoire de sa famille, son éducation, sa vie régulière et cachée… Mme Manolé ne souriait plus.

« Je comprends, dit-elle, que vous soyez devenu ce que vous êtes : un catholique fervent. Mais combien vous ressemblez peu à tous les autres catholiques, à ceux du moins que j’ai rencontrés ! »

Et soudain, entraînée aux confidences, elle reprit :

« Moi, j’ai été élevée par mon père, dans un monde d’artistes et de gens de lettres. On a remué beaucoup d’idées devant moi… Des hommes célèbres m’ont tenue sur leurs genoux quand j’étais une gamine rêveuse et rieuse… Que de paradoxes bizarres, que de discours singuliers et profonds j’ai entendus quelquefois !… Ah ! les beaux jours de mon passé, les beaux espoirs, les beaux songes !… Je revois mon père assis devant sa toile, dans ce costume qu’il aimait : la blouse rouge des paysans slaves… Ses cheveux gris frisaient tout droit sur son front ; ses yeux bleus flambaient ; sa voix ébranlait les vitres… Cher père ! Quelle nature puissante, heureuse, oui, faite pour recevoir le bonheur et le répandre !…

— Vous l’avez perdu ?

— Trop tôt… J’avais quinze ans. Notre amie Mme Lassauguette m’a prise chez elle et mariée à Pierre Manolé, un musicien… Depuis quatre ans, je suis veuve.

— Dieu vous a bien éprouvée, madame. »

Elle soupira :

« J’avais un petit enfant… Luis aussi… »

M. de Chanteprie, ému, se reprochait de ne savoir rien dire… Fanny, malheureuse, ne l’effrayait plus : il aurait souhaité lui exprimer sa sympathie, mais une invincible pudeur lui ferma la bouche. Et il se trouva ridicule et sot.

La jeune femme secoua la tête, comme pour écarter un souvenir.

« Dans ce monde où j’ai vécu, et que vous ne connaissez pas, il y avait assurément quelques prétendues catholiques. Je songeais à eux, tout à l’heure, en vous écoutant, et je faisais la comparaison… Oui, il y avait des artistes qui se disaient « mystiques » ; c’étaient des chevaliers du Graal, des âmes de cygne, des rose-