Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/57

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— Vous vous ennuyez déjà, Fanny. Ça vous amuse d’ensorceler ce hobereau de village ?

— « Hobereau de village » ! Soyez poli, mon cher. Vous ne savez pas de qui vous parlez.

— Qu’est-ce qu’il fait, ce M. de Chanteprie ?

— Il lit saint Augustin.

— Pas possible !…

— Je vous assure…

— Oh ! madame, vous choisissez bien mal vos galants.

— Et vous, Georges, vous choisissez bien mal vos plaisanteries. Je connais à peine ce jeune homme… Allons, venez. »

Barral appuya sa bicyclette au tronc d’un tilleul et suivit la jeune femme. Quand ils eurent achevé le « tour du propriétaire », Fanny pria son hôte de l’attendre sous le châtaignier, où elle avait placé une petite table et des chaises rustiques.

« La femme de service, qui vient deux heures par jour, a préparé le déjeuner sous ma direction, mais il faut que j’y mette la main, dit-elle.

— Fanny, je suis confus… Pourquoi votre servante ne reste-t-elle pas toute la journée ?

— Parce que… Ce sont des affaires domestiques sans intérêt, et qui ne vous regardent pas… Voici des livres, des journaux. Prenez patience. »

Seul, à l’ombre du grand châtaignier, Barral ne toucha point aux journaux. Il rêvait.

Georges Barral avait trente-cinq ans. Il était assez riche pour que le travail lui fût un plaisir. Çà et là, il écrivait d’ironiques et jolies « chroniquettes » dont il ne tirait point vanité. L’art d’écrire l’intéressait moins que l’art de vivre. Barral savait vivre. Il pratiquait ce qu’il appelait l’égoïsme supérieur. Aucune des humbles joies que les prétendus délicats affectent de mépriser ne lui paraissait négligeable. Il vantait, avec une égale éloquence, la bonne chère, les belles femmes et les beaux livres. Il voyait « en beauté » les choses les plus vulgaires de l’existence, et savourait précieusement les mille petites voluptés quotidiennes qui composaient son bonheur.

Les sots le disaient « matérialiste ». Barral connaissait les sens baroques de cette épithète, et il s’en amusait infiniment. On prétendait aussi qu’il vivait dans la débauche, ayant abandonné femme et enfant, et cette légende, colportée partout, avait ému Fanny