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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/65

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— Fanny !

— Eh bien, qu’il se fasse aimer, s’il peut ! » cria-t-elle.

Son rire nerveux retentit, fouettant Barral d’une provocation. Et, sautant sur sa bicyclette, elle s’élança, disparut…

Dans la nef verdoyante, si longue, sous l’arceau des feuillages criblant le soleil, tour à tour dans l’ombre et dans la lumière, la femme fuyait, hirondelle noire au corsage blanc. Elle fuyait, allégée, impondérable, fendant l’air qui glissait en un frais courant sur sa face obstinée, sur sa gorge gonflée, sur ses jambes rapides. Un fleuve fluide la baignait, la soulevait tout entière, et, sans savoir où ni comment, elle fuyait, poussée par l’atavique peur de l’homme, avec le délice et l’orgueil et l’effroi d’être poursuivie…

Et, derrière elle, il accourait. D’abord surpris, puis irrité, puis charmé, il s’enivrait maintenant de cette course à l’amour qui réveillait en lui l’instinct sauvage. Le jeu de ses muscles, le rythme égal de son souffle, la chaleur du sang à ses tempes lui furent un plaisir physique qui dilata son cœur mâle. Sûr de la victoire, il éprouva la plénitude de sa force, pressant les pédales à coups réguliers, sans hâte. Mais Fanny, très loin, le sentait venir. Elle entendit le grelot sonore tintant aux ressauts de la route, et, décuplant la vitesse, elle se précipita. Barral eut une sourde exclamation… Il cessa de se contempler dans son rôle d’anthropoïde poursuivant la brune femelle, à travers la forêt des premiers âges. Toute pensée s’abolit, et il sentit naître en lui une âme inconnue, une âme féroce de faucon. Éperdument, il souhaita la belle proie. Avec un rauque soupir, les dents serrées, il fila comme une flèche, il descendit l’allée vertigineuse… Et soudain le sol s’abaissa. Un poteau indiquait la côte dangereuse. N’importe ! Sur la pente, la femme et l’homme, l’hirondelle et le faucon, passèrent, apparus, disparus, fantastiques… Un paysan qui ramassait du bois resta les bras écartés, la bouche ouverte par un cri qu’on n’entendit pas… Les maisons d’un hameau se levèrent dans la profondeur d’un cirque sombre… Des volailles effarées s’enfuirent… Des enfants pleurèrent… Puis ce fut la solitude, l’âpre odeur résineuse, la colonnade rougeâtre des pins. Et peu à peu, la femme s’épuisa. La distance diminuait, diminuait encore. L’homme arrivait, comme un éclair. Fanny le sentit plus près, tout près. Le grelot sonna, les roues vibrèrent. Sur l’épaule de la femme, une main rapace s’abattit.