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Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/94

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tombeaux. Ils se regardaient fac à face, avec des yeux éblouis…

De cette heure, des heures qui suivirent, il leur resta le souvenir lumineux et flottant d’un songe.

Fanny se laissa conduire, indifférente aux paysages qu’elle parcourait dans le demi-somnambulisme des grands bonheurs. Une stupeur divine paralysait sa raison. Domptée, esclave, suspendue au bras d’Augustin, elle n’était plus qu’une sensibilité frémissante. Longtemps, ils s’égarèrent dans les bois des Mollerets qui dominent Port-Royal, et, le chemin s’abîmant tout à coup, ils s’arrêtèrent sur la crête de la colline. Un promontoire de rocher s’avançait en proue, surplombant des coulées d’argile rouge, et, sous le vaste ciel bleu et blanc, sous le ciel à gros nuages cernés d’une ligne brillante, c’était le panorama de la vallée toute verte : le vert acide des prairies rayées par les rubans des routes, le vert olivâtre des bruyères, le vert argenté des trembles et des peupliers, le vert compact et moutonnant des bois qui dessinent sur l’horizon une longue ligne circulaire.

Augustin et Fanny se reposèrent sur la roche où croissaient de maigres pins. Des feuilles mortes pourrissaient dans les flaques d’eau qu’un orage avait laissées aux creux de la pierre. Mains unies, fronts rapprochés, ils sentaient planer la mélancolie de l’espace et du silence.

« Êtes-vous heureuse, Fanny ?

— Trop heureuse. Je voudrais que demain ne vînt jamais.

— Demain sera pus beau qu’hier.

— Je connais les lendemains… Oh ! la douceur de l’amour qui commence ! »

Ses yeux se voilèrent. Augustin comprit qu’elle demeurait, malgré leurs confidences, une créature mystérieuse. Depuis qu’ils erraient à travers bois, il n’avait voulu parler que d’elle seule, tant il souhaitait la bien connaître. Mais, dès ce premier dialogue d’amants, il s’apercevait combien leur situation était bizarre et délicate… La jeune femme meurtrie par la vie et les passions, n’était-elle pas l’aînée, l’initiatrice, même quand elle se faisait petite pour dire : « Instruisez-moi, dirigez-moi ! » Déjà, elle avait prononcé des mots étranges ; elle avait fait allusion aux tristesses de son mariage, aux influences corruptrices qu’elle aurait subies, peut-être, si elle n’avait pas rencontré Augustin… Le jeune homme n’osait arrêter sa pensée sur l’énigme qu’il devinait très cruelle, et un peu humiliante pour son amie ; et il ne retenait