Page:Tinayre - La Maison du péché, 1941.djvu/99

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des patenôtres. Elle recevait mal les gens qui venaient en visiteurs, et dérangeaient « son garçon l’abbé ». Mais, surtout, elle était féroce pour les femmes.

Un soir d’août, Mme Manolé sonna à la grille du presbytère. La vieille, qui étendait du linge dans la cour, ne broncha pas. Elle avait reconnu la Parisienne, qu’elle détestait sans savoir pourquoi.

Fanny carillonna si fort que l’abbé Vitalis lui-même ouvrit une fenêtre au premier étage.

« Maman ! cria-t-il, faites entrer Mme Manolé : je descends ! »

La mère Vitalis obéit de mauvaise grâce, et Fanny la suivit dans la petite salle à manger du presbytère. Le papier de tenture à rosaces jaunes, décollé par l’humidité, des lithographies banales, un tapis taché d’encre sur la table, un râtelier de pipes sous une plante de sapin brut où s’alignaient quelques livres, tout révélait la misère et l’incurie. Fanny, demeurée seule, entrevit l’ombre de la paysanne qui rôdait autour de la fenêtre, et l’écho d’une altercation étouffée parvint jusqu’à elle.

« Je suis le maître, ici…

— C’est-il possible que les enfants commandent à leurs vieilles mères ?… Martial, c’est pas parce que t’es curé que tu me dois pas le respect !…

— Je vous respecte ! mais je vous prie de me laisser libre…

— Oui, pour qu’on jase de nous dans le pays… Tu sais point la mauvaiseté des gens… J’te dis qu’ils écriront des choses sur toi à Monseigneur…

— En voilà assez !… »

L’abbé entra dans la salle à manger, brusquement.

« Excusez-nous, madame, je vous prie. Ma mère a l’oreille dure, et moi j’étais occupé là-haut… Vous avez quelque chose à me demander ?

— Je vous demande de venir dîner, ce soir, aux Trois-Tilleuls, avec M. de Chanteprie.

— Très volontiers… Et… il n’y a pas autre chose ?

— Si…

— À votre air, je m’en doutais. Rien de grave ?

— Oui et non… Puis-je vous parler à cœur ouvert, comme on parle en confession ?

— Sans doute !…

— Eh bien, monsieur le curé, je suis très fâchée contre vous. Je vous garde rancune.