Page:Tinayre - La Rancon.djvu/123

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se voyait bien, et les ouvriers parisiens, race blagueuse et sentimentale, ne se gênaient pas pour le dire tout haut, d’un air bon enfant.

Chartrain révéla à Jacqueline les quartiers étranges qui précèdent la banlieue de Pantin, les larges rues grouillantes et mornes tout ensemble, où passent sans cesse des enterrements pauvres allant au cimetière, des convois de bestiaux allant aux abattoirs. Jacqueline s’apitoya sur les grands bœufs stupides et doux, sur la horde des moutons sales marqués de rouge pour la Saint-Barthélémy des bouchers. Étienne lui fit remarquer alors les marmailles déguenillées, les adolescents scrofuleux, les pâles fillettes anémiques, les femmes sans âge, alourdies par la grossesse, n’ayant plus de leur sexe que les pénibles fonctions. Il émut le cœur de la femme élégante, cultivée avec amour par une civilisation qui réserve au petit nombre son idolâtrie et ses raffinements. Il parla des indulgences auxquelles la misère et l’ignorance ont droit. Et madame Vallier n’osa plus rire… Étienne fut éloquent parce qu’il mettait dans ses paroles toute la bonté de son cœur, toute la véhémence d’un esprit généreux et la belle poésie des chimères