Page:Tinayre - La Rancon.djvu/124

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de sa jeunesse. Il vit sa compagne attendrie le regarder en silence, d’un œil infiniment doux.

— Pardonnez-moi, dit-elle. J’ai été sotte. Ces pauvres gens m’effrayeront peut-être encore, mais ils ne me dégoûteront plus. Étienne, si vous étiez l’homme que vous êtes, sous la blouse d’un charpentier ou d’un maçon, je vous aurais reconnu… Je vous aurais aimé…

Elle regardait autour d’elle ces hommes et ces femmes qu’elle considérait jadis comme d’une espèce inférieure, piteux, lamentables ou inquiétants. Elle tâchait de les voir, à travers les paroles d’Étienne, avec leurs frustes sentiments de résignés, leur héroïsme de révoltés, leur sombre mystère de parias condamnés avant de naître. Que de forces peut-être, que de beauté, que de génie perdus ! Elle ignorait tout cela, cet océan populaire dont les houles berçaient la petite coquille de son luxe, le petit nid de sa vie heureuse. Elle avait vécu en inconsciente, en égoïste petite fille… Comme Étienne savait parler à son cœur, l’élargir, l’illuminer !… Elle eût voulu que leur amour, traversant l’enfer des cités ouvrières, s’y répandit en lumière, en miraculeux bienfaits.