Page:Tinayre - La Rancon.djvu/163

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à peine aux femmes, madame Mathalis pria ses amis de céder leur place à deux jeunes filles, et Chartrain regagna son coin dans l’angle opposé du salon, en face de Jacqueline. Moritz l’avait suivi. Dans un grand brouhaha, les violonistes disposaient leurs pupitres et accordaient leurs instruments. Tout à coup, Moritz murmura :

— Regardez !

Il montrait Suzanne qui parlait bas à Lussac, un peu à l’écart des autres femmes. Le jeune homme souriait et madame Mathalis, levant des yeux anxieux, était toute transfigurée par une expression inconnue, par une tendre gravité. Sa main frémissait sur le crêpe pourpre de la robe, et son attitude, son regard, cette émotion qu’elle ne dissimulait plus, trahissaient le secret pressenti par Jacqueline. Elle quitta Lussac avec un visage éblouissant et ébloui, que la passion modelait dans une matière plus fine, un albâtre transparent sur la lumière intérieure.

« Elle aussi !… » pensa Chartrain.

Elle aimait Lussac, elle en était aimée. Ils étaient heureux, que leur amour eût reçu déjà et donné les gages suprêmes ou qu’il fût encore à la charmante aurore des promesses. Pourquoi cette vision poigna-t-elle le cœur d’Étienne jusqu’à la