Page:Tinayre - La Rancon.djvu/166

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doucement, tristement, pleurait l’adagio de la célèbre sonate au Clair de lune. Il prolongeait, sur l’accompagnement des arpèges mineurs, égaux comme les jours mornes de la vie, le chant d’une âme mal résignée qui tente vers l’espérance un essor inutile, vite brisé en sanglots. Elle semblait s’apaiser, attentive au conseil funèbre des basses. Elle flottait sur la mouvante houle des harmonies, et tout à coup montait, forçant la destinée, couvrant la voix des réalités désenchantantes. Puis, elle retombait, vaincue, et les cœurs tressaillaient de sa chute mélodieuse. Les vagues des jours coulaient encore ; un abîme s’ouvrait, et l’âme, lentement, sombrait dans les profondeurs de l’oubli, de la mort, du silence.

Sur les nerfs d’Étienne, sur son cœur à vif, l’harmonie passa comme une caresse, puis comme une souffrance. Il connut cette ivresse de la musique qui fait jaillir les larmes, affole la sensibilité décuplée, détend les volontés inflexibles. Autour de lui, les visages révélaient le songe intérieur suscité dans les âmes par la grande voix de Beethoven. L’amour ! Il régnait sur l’esprit des poètes, sur les yeux des artistes, sur le cœur ignorant des vierges et la chair troublée des femmes. Comme un suave clair de lune, comme